Page:Ruskin - Sésame et les lys.djvu/133

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

murs pour les affiches à lire, Jamais pour les peintures à regarder. Vous ne savez pas (même par ouï dire) quelles peintures vous avez dans votre pays, ni si elles sont vraies ou fausses, ni si on en prend soin ou non. Dans les pays étrangers vous voyez avec calme les plus nobles peintures qui existent dans le monde pourrir dans un abandon d’épave[1] (à Venise vous avez vu les canons autrichiens pointes sur les palais qui les contenaient)[2]

  1. Comparez : « Les plus grands trésors d’art que l’Europe possède actuellement sont des morceaux de vieux plâtres sur des murs en ruines où les lézards se cachent et se chauffent et dont peu d’autres créatures vivantes approchent jamais ; et les restes déchirés de toiles ternies dans les coins perdus des églises, etc. Un grand nombre de fresques et de plafonds de Véronèse et de Tintoret au Palais ducal ont été réduits, par la négligence des hommes, à cette condition. Malheureusement comme aucun d’eux n’est sans réputation, ils ont attiré l’attention des autorités vénitiennes et des académiciens. Il est de règle que les corps publics qui ne veulent pas payer cinq livres pour protéger un tableau en paient cinquante pour le repeindre. Et quand je fus à Venise, en 1846, il y avait deux opérations réparatrices qui se poursuivaient simultanément dans les deux édifices qui renferment les plus merveilleux tableaux de la ville… Des seaux étaient placés par terre dans la Scuola San Rocco à chaque averse pour recevoir la pluie qui traversait les plafonds de Tintoret, pendant qu’au Palais ducal les Véronèse étaient par terre pour être repeints ; et je vis moi-même repeindre le ventre d’un cheval blanc de Véronèse à l’aide d’une brosse placée à l’extrémité d’un bâton de cinq mètres de long et trempé dans un pot à peinture de bâtiments, etc. » (Stones of Venice, II, VIII, 138 et 139.) (Note du traducteur.)
  2. Comparez : « Et moi qui vous parle de l’utilité de la guerre, je devrais véritablement être le dernier à vous parler de cette façon si je me fiais à ma seule expérience. Voici pourquoi : j’ai consacré une grande partie de ma vie à des recherches sur la peinture vénitienne et ces études ont eu pour résultat de me faire adopter l’un de ses représentants comme le plus grand de tous les peintres. Je me suis fait cette conviction sous un plafond couvert de ses peintures ; et parmi ces peintures trois des plus belles n’offraient plus que des morceaux déchiquetés, mêlés aux lattes du plafond crevé par trois obus autrichiens. Or, sans doute tous les conférenciers ne pourraient pas vous dire qu’ils ont vu trois de leurs tableaux préférés mis en lambeaux par des obus. Et devant un pareil spectacle quel est le conférencier qui vous dirait comme moi que cependant la guerre est le fondement de tout grand art ? » (La Couronne d’Oli-