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sus et qui semble se courber vers le vent d’ouest — bien que ce ne soit pas. Du moins sa courbure est une longue habitude contractée graduellement, avec une grâce et une soumission croissantes, pendant ces trois derniers cents ans. Et, arrivant tout à fait au porche, chacun doit aimer la jolie petite madone française qui en occupe le milieu avec sa tête un peu de côté, et son nimbe mis un peu de côté aussi comme un chapeau seyant. Elle est une madone de décadence en dépit ou plutôt en raison de toute sa joliesse[1] et de son gai

  1. Cf. avec The two Paths : « Ces statues (celles du porche occidental de Chartres) ont été longtemps et justement considérées comme représentatives de l’art le plus élevé du xiie ou du commencement du xiiie siècle en France ; et, en effet, elles possèdent une dignité et un charme délicat qui manquent, en général, aux œuvres plus récentes. Ils sont dus, en partie, à une réelle noblesse de traits, mais principalement à la grâce mêlée de sévérité des lignes tombantes de l’excessivement mince draperie ; aussi bien qu’à un fini des plus étudiés dans la composition, chaque partie de l’ornementation s’harmonisant tendrement avec le reste. Autant que leur pouvoir sur certains modes de l’esprit religieux est due à un degré palpable de non-naturalisme en eux, je ne le loue pas, la minceur exagérée du corps et la raideur de l’attitude sont des défauts ; mais ce sont de nobles défauts, et ils donnent aux statues l’air étrange de faire partie du bâtiment lui-même et de le soutenir, non comme la cariatide grecque sans effort, où comme la cariatide de la Renaissance par un effort pénible ou impossible, mais comme si tout ce qui fut silencieux et grave, et retiré à part, et raidi avec un frisson au cœur dans la terreur de la terre, avait passé dans une forme de marbre éternel ; et ainsi l’Esprit a fourni, pour soutenir les piliers de l’église sur la terre, toute la nature anxieuse et patiente dont il n’était plus besoin dans le ciel. Ceci est la vue transcendantale de la signification de ces sculptures.

    Je n’y insiste pas, ce sur quoi je m’appuie est uniquement leurs qualités de vérité et de vie. Ce sont toutes des portraits — la plupart d’inconnus, je crois — mais de palpables et d’indiscutables portraits ; s’ils n’ont pas été pris d’après la personne même qui est censée représentée, en tout cas ils ont été étudiés d’après quelque personne vivante dont les traits peuvent, sans invraisemblance,