Page:Rudder - Anton Bruckner.pdf/6

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ports avec quelques-uns des plus grands hommes de son temps. Il voyait d’ailleurs peu de monde, tout au plus quelques amis formant autour de lui un petit cercle sympathique et intime où il se sentait à l’aise. Son amitié était profonde et sincère et sa reconnaissance ne connaissait pas de bornes ; c’étaient des louanges sans fin pour Hans Richter, qui dirigeait ses symphonies ; pour le compositeur Hugo Wolf[1], pour Siegfried Ochs, qui donna son Te Deum avec le Chœur philharmonique de Berlin. Bruckner assista à l’audition et emporta de la capitale allemande, qui avait fait un beau succès à l’œuvre, le meilleur souvenir. Quelle gratitude encore pour Ferdinand Löwe et Joseph Schalk, qui, par les exécutions de ses œuvres au piano et à l’orchestre, le second aussi par ses articles sur le maître, contribuèrent pour une grande part à répandre l’œuvre du symphoniste autrichien. Löwe et les deux frères Schalk furent d’ailleurs toujours à ses côtés, l’encourageant et le conseillant sans cesse.

(À suivre)
may de rudder.


L’ÉTRANGER
ACTION MUSICALE EN DEUX ACTES
Poème et musique de m. vincent d’indy
Représenté pour La première fois le 7 janvier, à Bruxelles
AU THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE


Le théâtre de la Monnaie, qui eut la primeur de Fervall, se devait de donner avant toute autre scène l’hospitalité à la nouvelle œuvre dramatique de M. Vincent d’Indy, qui vainement, depuis deux ans, attendait son tour à l’Opéra-Comique de Paris.

L’Étranger a été accueilli avec éclat par une salle extrêmement brillante. Cet accueil, l’œuvre le commandait par sa noble et fière allure par son caractère élevé et par l’admirable maîtrise qui fait de cette partition, tour à tour délicate et puissante, une œuvre d’art très pure, hautaine et émouvante.

Certes, ce n’est point là une composition dramatique à la portée des foules. Elle est d’essence trop nettement aristocratique, elle puise ses éléments d’émotion dans une catégorie de sentiments trop au-dessus de la mentalité moyenne pour être aisément accessible à tous. Mais si elle dédaigne de parti pris les moyens faciles de captiver les esprits, si elle se prive, par la volonté consciente de l’auteur, de tout appel à l’émotion banale, si dans sa simplicité voulue elle évite pareillement l’aventure héroïque et l’anecdote familière, elle ne renferme pas moins en son ascétisme voulu une part d’émotion qui touche au plus profond de nous-mêmes.

Très justement, M. Vincent d’Indy a intitulé son œuvre action musicale, voulant indiquer par là qu’il n’avait entendu écrire ni un opéra proprement dit, ni un drame lyrique. C’est qu’il s’agit ici d’une action toute intérieure ; c’est un pur problème de psychologie, une thèse philosophique qu’il a plu à l’auteur d’exposer sous la forme musicale, avec l’adjonction du geste dramatique. Ne demandons pas au poète autre chose que ce qu’il a voulu nous donner ; il est le maître de sa pensée. Celle-ci, sans doute, se peut discuter. Les conclusions latentes de son œuvre appellent naturellement le commentaire et provoqueront sans doute la contradiction. Nos lecteurs, grâce au remarquable article de M. de la Laurencie, que nous avons reproduit ici, savent de quelle nature sont les problèmes que soulève la fable imaginée par le poète. Pour les uns, l’Étranger mystérieux qui porte à son bonnet l’émeraude qui brilla jadis à l’avant de la nef de Lazare le ressuscité, ce Rêveur qui veut la Bonté et qui prêche la pitié est le symbole de l’artiste qui passe, incompris toujours, n’attirant à lui qu’une âme d’élite ; il sert l’humanité et le néant l’attend[2]. Pour les autres, le pessimisme décourageant de cette conclusion s’évanouit devant les significations évocatives de la musique ; le texte liturgique du De profundis affirme, à la fin, que le refuge des grandes âmes est dans les œuvres d’héroïque dévouement, qui leur ouvrent l’abri de l’éternelle vie de divin amour[3]

  1. Hugo Wolf, compositeur autrichien, qui donnait les plus belles espérances, auteur de nombreux Lieder, d’un opéra : Le Corrégidor (joué avec succès à Graz), depuis quelques années mort à la vie intellectuelle et interné dans un asile d’aliénés des environs de Vienne.
  2. M. Calvocoressi dans l’Art moderne.
  3. M. G. Systermans dans le XXe Siècle.