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en étaient tout ébahis et l’appelaient « l’aide instituteur moitié fou » (halb-verrückter G’hilf).

Après quelques années passées à Windhag, il s’installa en qualité d’instituteur à Cronsdorf, près de Enns. Il y fit la connaissance d’un paysan qui mit à son entière disposition un piano ; Bruckner pouvait ainsi continuer à s’exercer au maniement d’un clavier. En 1845, cependant, il revint au couvent Saint-Florian, où, après examen, il fut nommé professeur et organiste suppléant. Dès lors, il travailla avec plus d’ardeur que jamais. Il eut l’occasion et aussi le temps de se familiariser avec son instrument de prédilection, l’orgue, et, en 1856, il se sentit assez fort pour prendre part au concours organisé à la cathédrale de Linz pour la place d’organiste. À l’unanimité, Bruckner fut jugé virtuose accompli et il l’emporta sur tous ses concurrents. Après tant d’années passées dans la misère, dans l’âpre lutte pour la vie matérielle, après une jeunesse toute de tristesse et de pénible labeur, l’avenir allait enfin lui sourire au moins quelque temps, et c’est à Linz qu’il passa les plus calmes et les plus heureuses années de sa vie. Avec une incomparable énergie, il travailla toujours à se perfectionner et commença, à ses moments libres, ses études théoriques. Le sévère professeur Sechter, de Vienne, fut son maître. En 1861, Bruckner subit, au Conservatoire de Vienne, une épreuve définitive où il étonna le jury lui-même par ses remarquables aptitudes. Les flatteuses appréciations du jury l’encouragèrent dans ses études. Visant toujours à la plus grande perfection, il étudia encore pendant deux ans, l’orchestration surtout, auprès de Kitzler, alors chef d’orchestre au théâtre de Linz.

Bruckner, en même temps qu’il remplissait les importantes fonctions d’organiste à la cathédrale de Linz, avait également pris la direction d’une société chorale de la ville, la « Frohsinn », qui exécuta ses premières œuvres. Il paraît avoir été excellent chef de chœurs, et l’on en trouve la preuve dans le fait suivant : Wagner lui envoya, pour être exécuté la première fois publiquement, par la chorale Frohsinn, le finale de la partition non encore publiée alors des Maîtres Chanteurs de Nuremberg.

Ce ne fut qu’en 1864 que Bruckner acheva et publia sa première composition importante, sa Messe en ré mineur (éd. Joh. Grosz, Innsbrück). Il avait alors près de quarante ans ! Sa carrière de compositeur allait seulement commencer à l’âge où tant d’autres maîtres déjà, comme Mozart, Schubert, Weber, avaient, hélas ! disparu !

En 1867, à la mort de Sechter, organiste de la cour, le capellmeister Herbeck, de Vienne, qui avait depuis longtemps reconnu tout le mérite du compositeur et du maître organiste Bruckner, le fit venir dans la capitale autrichienne. Grâce à lui, Bruckner fut appelé à remplacer Sechter à l’orgue et fut nommé professeur d’harmonie et de contrepoint au Conservatoire de Vienne. Sa Première Symphonie, en ut mineur (édit. Doblinger. Vienne), date de 1866 ; elle fut remaniée beaucoup plus tard, en 1890, mais ne fut exécutée qu’en 1868, à Linz, sous la direction de l’auteur lui-même. Elle n’eut guère de succès, et le maître en fut cruellement affligé ; il tomba dans un profond découragement ; il douta un instant de lui-même et résolut d’abandonner la symphonie. Il ne retrouva le calme et la consolation qu’après l’achèvement d’une seconde messe, la Grande Messe en fa mineur (éd. Doblinger. Vienne), fin de 1868, suivie de près d’une Troisième Messe en mi mineur (éd. Doblinger. Vienne). C’est à cette époque, en 1869, qu’il fit son premier grand voyage. Bruckner prit part au concours international d’orgue à Nancy et surpassa les organistes les plus renommés ; de là, il se rendit à Paris, où son prodigieux talent d’improvisateur émerveilla les auditeurs. En 1871, il alla à Londres, où, après une série de onze concerts d’orgue, il remporta un véritable triomphe.

Mais Bruckner ne devait pas connaître