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alviès.[1] Est-ce parce que les Pyrénées sont moins élevées que les Alpes ? est-ce à cause de la qualité du sol ? Tâchons, par des points de fait, à jeter quelque jour sur ces questions.

Dans le Briançonnois, moins élevé que les Alpes & que les Pyrénées, le mélèse est un des arbres les plus communs. Dans la vallée du Rhône, & fort peu au-dessus du niveau du lac de Genève, la graine, entraînée des montagnes supérieures, soit par les vents, soit par les eaux, y a germé, & il en est provenu des mélèses qui végètent tout aussi bien que ceux des plus hautes montagnes. S’il n’y a point de mélèse dans les Pyrénées & sur les hautes montagnes de l’intérieur du royaume, c’est parce qu’il n’y a jamais eu de semences dans le pays, &. que d’autres arbres se sont emparés du sol ; il n’est pas douteux que si un seul grain y eût fructifié, le haut des Pyrénées en seroit couvert aujourd’hui. Admettons pour un instant que le sommet de ces montagnes seroit au-dessus de la région des sapins ; mais au-dessous de cette région les Pyrénées sont couvertes par de fertiles pâturages, qui conviendroient aux mélèses autant que les Alpes. Il y a dans les plus hautes Alpes des pays entiers où on ne le connoît pas, & où cependant la nature est absolument la même que dans celle où l’on en voit de grandes forêts. Le pays le plus fertile en Suisse est le Valais, vallée très étroite, où coule le Rhône depuis sa source jusqu’au gouvernement d’Aigle, & de-là jusqu’au lac de Genève. Cette vallée est au nord, séparée du canton de Berne, & au sud, de l’Italie, par deux chaînes de montagnes qui sont les plus hauts glaciers de l’Europe. La patrie du mélèse est sur ces deux chaînes de montagnes du côté de l’Italie ; on les retrouve au revers de cette chaîne au pied des glaciers de Chamonix, & plus loin dans toute la Savoye & dans tout le haut Dauphiné. Du côté de Berne on en voit sur la même montagne, au revers & au-dessus des sapins ; mais plus loin, à Grindelvald, à Lauttetbruum, & au-delà jusqu’à Lucerne, le nom même est inconnu ; cependant c’est la même exposition, le même sol, &c, les semences n’y ont donc pas été transportées ?

Il est très-vrai en général que les mélèses habitent la région supérieure à celle des sapins, mais on ne doit pas en conclure, ainsi que je l’ai déjà dit, qu’ils ne peuvent pas en habiter d’autres ; voici la preuve du contraire. Dans le Valais & sur la côte au-dessus des vignes, qui, dans ce pays, sont la culture des côtes basses, on voit de grandes forêts qui ne sont pas à une hauteur excessive ; elles sont mêlées de mélèses & d’Epicia,[2] de sapins. Voilà donc le mélèse déjà descendu, d’un étage.

À Bex, dans le gouvernement de l’Aigle, pays bas, à la tête du lac de Genève, on voit des mélèses crûs, spontanément sur une colline, voisine

  1. C’est le pinus cimbre. Lin.
  2. Nous nommons en France vrai sapin celui qu’en Suisse on appelle sapin blanc, pinus picea, Lin. & celui qu’en France on appelle epicia, est connu en Suisse sous le nom de sapin rouge, pinus abies. Lin.