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quinze années, renfermée dans un lieu sec, sans craindre qu’aucune sorte d’insecte l’altère. Je ne dis pas un plus grand nombre d’années, parce que mon expérience n’est encore qu’à ce terme aujourd’hui.

Il y a des habitans qui ne prennent pas ces précautions ; ils remplissent seulement de cette farine rapée, une auge creusée dans le corps d’un arbre ; elle est percée de plusieurs trous, pour que le suc de la racine s’écoule hors de ce pressoir ; se bornant à cette seule préparation, sans la faire boucaner.

On réduit ensuite, si on veut, ce magnoc en farine fine avec un pilon ou au moulin, & on la passe au tamis, comme toute autre matière qu’on veut avoir fine.

On fait du pain passable, en mêlant un quart de farine de froment, avec trois-quarts de magnoc. Quand on mange, sans en être prévenu, du pain fait avec du magnoc & du froment, mêlés par égale portion, on ne trouve point de différence de ce pain au nôtre, le goût en est même plus savoureux que celui du pain qui est tout de froment, & il est plus blanc. Ainsi, selon les circonstances, on peut faire le mélange diversement, & à proportion de ce qu’on a de farine de froment.

On fait aussi, par le même mélange, du biscuit très-bon à être embarqué, & je ne doute pas que ce biscuit ne fût, pour cette destination, d’une qualité supérieure à celui qu’on employe ordinairement, parce qu’il ne se trouveroit jamais moisi, ni attaqué des vers, en prenant soin de l’embarquer dans des caisses ou des barriques bien conditionnées, placées dans les soutes du navire. Ce biscuit pompe, avec moins d’avidité, l’humidité de l’air, que le biscuit de froment, parce que cette farine a un glutin qui résiste plus à l’humidité que la mucosité de la farine du froment.


De la cassave.


Pour faire la cassave, on a des plaques de fer fondu, polies avec du grès. On les met sur des fourneaux, dont le foyer est éloigné de la plaque ; parce qu’il suffit qu’elle soit seulement bien chaude. Les personnes qui n’en font que pour leur usage, comme les Caraïbes & les nègres, & qui changent souvent d’habitation, se contentent de poser les plaques sur trois pierres qui peuvent avoir sept à huit pouces de hauteur, & avec de petit bois ils échauffent leurs plaques. Ceux qui veulent vendre la cassave, sont obligés, par la loi du pays, de la livrer à un certain poids déterminé ; ils ont une mesure qui fait leur poids, ils la remplissent de racines de magnoc, rapées & pressées, qu’ils renversent sur la plaque chaude, & avec les mains ils l’étendent, & lui donnent une forme de gâteau rond.

Celui qui fait ce travail est muni d’un petit battoir, en forme de pêle, & avec lequel il appuye sur cette farine grumelée, de manière que toutes les petites portions s’unissent à la faveur du mucilage que la chaleur en fait suinter. Lorsque l’ouvrier s’aperçoit que toutes les parties sont réunies & tiennent ensemble, il passe la pêle au-dessous, & traverse la forme ou mesure sur la plaque. Cette opération est facile, & se fait en peu de temps.

Plus la cassave est mince, & plus elle est délicate & devient croquante. Lorsqu’on lui laisse prendre une couleur rousse, elle est plus savoureuse ; ce qui fait que bien des personnes