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sol est rempli de racines qui ont absorbé l’humus ou terre végétale, & les racines des nouvelles plantes ne trouveroient pas de quoi s’y nourrir : dans ce cas, on agira ainsi qu’il sera dit ci-après.

§. V. Des différentes récoltes la luzerne.

Si on en croit l’assertion de M. Hall, Anglois, & d’ailleurs auteur d’un grand mérite, les provinces méridionales de France ont l’avantage de faire jusqu’à sept coupes par an ; malheureusement pour elles il n’en est rien, quelques avantageuses que soient les saisons, même quand on auroit les élémens à sa disposition, & l’eau nécessaire pour arroser le champ à volonté. Sion coupe la plante avant qu’elle soit en pleine fleur, on n’obtient qu’une herbe aqueuse, de peu de consistance, & qui perd les trois quarts de son poids par la dessication ; elle est en outre peu nourrissante. En supposant que la première coupe soit faite du commencement au milieu d’avril, ce qui est le plutôt, est-il possible de concevoir que la luzerne ait eu le temps de fleurir sept fois avant les premiers froids ? Il est rare qu’on puisse faire plus de cinq coupes. L’ordinaire, dans les provinces dont parle M. Hall, est quatre coupes ; si la saison a été favorable, c’est une belle & très-riche production. Aucun champ ne rend numériquement autant qu’une bonne luzernière, c’est un revenu clair & net pendant dix ans, qui ne demande aucune culture, aucune avance, excepté celle de bien préparer le champ, l’achat de la graine, & la paye des coupeurs. Quatre cent toises quarrées de superficie sont communément affermées, dans le pays que j’habite, de cinquante & soixante livres par année. Heureux le propriétaire qui a beaucoup de champs propres à la luzerne.

Beaucoup d’auteurs prétendent, ainsi qu’il a été déjà dit, que la luzerne vient par-tout ; si cette assertion étoit aussi vraie qu’elle est fausse, une grande partie de la Provence & du Languedoc seroit couverte de luzerne, puisque les prairies naturelles y sont rares par le manque presque absolu d’irrigation ; mais l’expérience a prouvé, de la manière la plus tranchante, que dans ces provinces surtout, la luzerne demande un terrein qui ait beaucoup de fond, qui na soit pas argilleux, & que le grain de terre ne soit ni trop tenace ni trop sablonneux.

Si dans tout le courant de l’année on a la commodité d’arroser les luzernières, les plantes s’élèveront fort haut, seront très-aqueuses, & ne donneront qu’un fourrage de bien médiocre qualité ; il vaudroit beaucoup mieux convertir ce champ en prairie naturelle, le foin en seroit meilleur.

Dans les champs trop sablonneux, ou qui n’ont pas assez de fonds, la luzerne souffre beaucoup de la chaleur & de la sécheresse de l’été, mais s’il survient une pluie, elle regagne en quelque sorte le temps perdu ; l’humidité développe bien vite une végétation qui étoit concentrée.

Dans les provinces du centre du royaume, on fait trois coupes dans les années ordinaires, & quatre dans les années les plus favorables ; deux à trois, au plus, dans les provinces du nord.