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Section III.

Action de la lumière dans le règne végétal & animal.


§. I. Action de la lumière sur le règne animal.

Tout ce qui a un principe de vie paroît avoir un besoin absolu de la présence de la lumière, pour exister en état de santé, & remplir toutes les fonctions nécessaires à la vie ; & tous les êtres vivans qui en sont privés, éprouvent bientôt une altération sensible. Les animaux, dont la nature est de vivre dans l’obscurité & loin de la lumière, n’y sont pas autant sujets à la vérité, mais dans leur port & leur couleur ils annoncent qu’ils ont été condamnés à une nuit éternelle ; l’éclat du jour les fatigue, un air triste, un caractère sauvage, une robe nuancée de couleurs sombres, semblent leur attirer avec justice la haine des autres animaux, & ils sont pour eux comme pour l’homme d’un mauvais augure. Ceux au contraire qui sont nés pour jouir de la lumière, viennent-ils à en être privés quelque temps, la langueur s’empare de tout leur être, la circulation des humeurs se ralentir, le principe de vie s’altère, une maladie, semblable à celle que l’on appelle étiolement dans le règne végétal, achève enfin le désordre commencé. Comme la vie est plus courte dans ce dernier règne, l’altération est plus prompte & plus sensible, comme nous le verrons bientôt. Mais ne peut-on pas attribuer autant à la privation de la lumière qu’à l’humidité & au mauvais air, les maladies que les prisonniers contractent au fond des cachots ? Poussons plus loin nos observations, & peut-être serons-nous étonnés des traces frappantes de l’influence de la lumière sur les animaux qui nous environnent, comme sur nous-mêmes, sans que nous y ayons jamais réfléchi.

La peau de l’homme, ce tissu si délicat, qui n’est recouvert que par une légère pellicule nommée épiderme, (Voyez ce mot) paroît très susceptible de s’altérer lorsqu’elle est longtemps exposée à la lumière. En effet, ne voyons-nous pas que la peau de nos mains, de notre visage, & de toutes les parties du corps qui ne sont point habituellement couvertes, prennent une nuance foncée & brunâtre, & perdent insensiblement cette blancheur & cette douceur qui en faisoit tout le prix dans la fleur de la jeunesse. Cette altération ne s’arrête pas à l’épiderme, elle pénètre plus avant, & affecte même le réseau de Malpighi, comme je m’en suis assuré au microscope ; j’ai trouve en effet qu’il n’y avoit pas une grande différence entre l’épiderme de la peau la plus blanche, & celui d’une peau très-hâlée par le soleil, seulement la dernière étoit plus raboteuse, mais la couleur & la transparence étoient presque les mêmes : au contraire la différence entre le réseau de l’une & de l’autre étoit très-sensible, & l’altération étoit frappante. Les personnes qui restent longtemps exposées à un grand éclat de lumière, au soleil, par exemple, les gens de la campagne, les paysans, les laboureurs, les chasseurs, les voyageurs ont le teint & les mains presque brunes & comme brûlées ; les Européens qui quittent ces climats tempères pour aller habiter les zones