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tion de ce peuple, avoient une attention extrême pour tout ce qui concernoit les limites des possessions des particuliers. Les régler & les reconnoître, étoit chez eux, jusque sous les derniers Empereurs, une science recommandée, dont les maîtres tenoient le rang des personnages distingués : science, dont on ne pouvoit, sous peine de mort, faire profession sans avoir été examiné, & sans en avoir été reconnu capable. »

« Lorsque deux propriétaires voisins posoient une limite, ils pratiquoient les cérémonies les plus imposantes, & ils prenoient les précautions les plus recherchées, pour faire reconnoître à jamais, malgré les injures du temps, le lieu où ils la plaçoient. Ils apportoient la pierre près de la fosse où ils devoient la planter : là, ils la couronnoient de fleurs, l’arrosoient d’huile parfumée, & la couvroient d’un voile ; ensuite, environnés de flambeaux allumés, ils offroient en sacrifice une hostie sans tache. Après savoir égorgée, ils s’enveloppoient la tête mystérieusement, & égouttoient le sang de la victime dans la fosse ; ils y jettoient de l’encens, des fruits de la terre, des rayons de miel, du vin, & d’autres choses qu’il étoit d’usage de consacrer aux dieux Termes. Ils mettoient le feu à toutes ces matières ; quand elles étoient consumées, ils plaçoient la pierre sur les cendres chaudes, & répandoient du charbon autour, parce que le charbon est incorruptible. C’est pour cette raison que le législateur avoit prescrit que l’holocauste se fît dans la fosse. Ceux qui empiétoient sur le terrein de leurs voisins, étoient chargés des plus affreuses malédictions, & menacés de tous les malheurs ».

C’est d’après cette cérémonie religieuse & ces malédictions, que s’est perpétuée jusqu’à nos jours l’erreur populaire des revenans dans les champs ; c’est toujours l’ame de celui qui a déplacé les limites, qui est censée paroître sous la forme d’un fantôme ; mais si on voit réellement un fantôme, le peuple doit être persuadé qu’il apparoit ainsi pour exciter la frayeur, écarter les gens, & favoriser par-là ou la contrebande, ou des vols, ou des rendez-vous particuliers. Il n’y a point de méthodes plus sûres d’écarter ces revenans, que des coups de fusils chargés à grenailles. Dès qu’ils voient qu’on n’est pas leur dupe, la supercherie disparoît bientôt.

La méthode des Romains dans le placement des limites, mérite d’être admise par-tout, parce que la cendre, les charbons, les traces du bûcher, subsisteront pendant des siécles. Les sacrifices, les offrandes & les libations servoient seulement à rendre l’opération plus solennelle ; &, marquée du sceau de la religion, elle en imposoit davantage au peuple. Ce mélange de politique & de Religion n’étoit pas mal-à-droit.

Dans les pays cadastrés, les limites sont un peu moins nécessaires qu’ailleurs, parce que le cadastre assure & désigne la propriété de chaque individu ; mais il faut que l’arpentement ait été fait avec exactitude. Eh comment atteindre à cette exactitude, à cette précision dans une opération qui se crie au rabais, & qui souvent est faite par des gens sans connoissances ! Malgré le cadastre, les limites bien établies éviteront par la