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l’appât du gain, elle se persuade que son enfant est en état d’être sevré ; elle le prive de son lait, qui lui seroit encore nécessaire, pour le vendre à un étranger. Cet infortuné devient foible, languissant & succombe ; mais elle n’impute point à sa cupidité la perte de son enfant, qui tout au moins auroit traîné une vie foible & languissante, s’il eût survécu.

L’infidélité des nourrices, qui ne veulent point découvrir leur état, dans la crainte de perdre le salaire qu’elles tirent de la nourriture d’un autre enfant, est un des inconvéniens qui demandent l’attention la plus sérieuse & la plus réfléchie. Si elles deviennent enceintes, elles perdent le lait, ou la qualité en est altérée. Il en est de même si elles tombent malades, elles donnent à l’enfant un lait pernicieux, ou sans user de prudence & de circonspection, elles le remettent & le confient à une voisine officieuse, pour le nourrir, en attendant une prompte guérison.

On doit encore compter pour beaucoup le risque que court l’enfant, si la nourrice a été dérangée dans sa conduite, ou si son mari a vécu ou vit encore dans la débauche. L’usage du lait de chèvre ou de vache remédie à tout, & n’a d’autre inconvénient que celui du préjugé, qu’on nomme, avec justice, l’ennemi de la saine raison. M. AMI.

Toutes les espèces de lait dont on vient de parler, produisent de bons effets dans les différentes espèces de toux, dans les différentes hémoptysies & pthysies ; mais leur usage est dangereux aux personnes attaquées de la fièvre, de maux de tête ; dont le foie, la rate ou le mésentère sont obstrués ; dont les hypocondres sont tuméfiés ; à celles qui sont tourmentées de la soif fébrile, affectées d’une maladie aiguë, inflammatoire, ou d’une violente hémorragie, de la diarrhée, de la dysenterie ; aux scorbutiques, aux vérolés, aux scrophuleux, aux asthmatiques, aux pituiteux & aux mélancoliques.

Le petit-lait rafraîchit, pousse par les urines, rarement par les selles : quelquefois il affoiblit l’estomac, & le rend moins propre à la digestion. Il tempère la chaleur excessive de la poitrine, il calme la soif dans la fièvre ardente & dans la fièvre inflammatoire, lorsque les premières voies ne contiennent point d’humeur acide. Il diminue la chaleur & la douleur qui accompagnent les maladies inflammatoires des voies urinaires. Il est même préférable aux émulsions dans ce dernier genre de maladies. Il est encore très-utile dans le scorbut, la vérole, le cancer oculte & la disposition aux maladies soporeuses.

V. Du sel ou du sucre de lait. Cette dernière dénomination lui est donnée à cause de son goût doux, agréable & sucré. Ce n’est point dans la boutique des apothicaires qu’on le prépare, mais sur les hautes montagnes de Suisse, de Franche-Comté, de Lorraine, &c. c’est l’ouvrage des pâtres, & leur manipulation a été pendant long-temps un secret. Il y a environ quarante ans que, pour la première fois, on ne parloit à Paris que du sucre de lait. Il étoit fort cher, & il eut une vogue prodigieuse. M. Prince, apothicaire de Berne, en étoit le grand promoteur ; mais l’enthousiasme diminua bientôt,