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variés en couleurs, il transmet à son petit l’éclat & la noblesse de sa toison. Si au contraire un bouc d’Europe couvre une chèvre d’Angola, l’individu qui en naîtra aura le poil de son père. Lorsqu’un cheval couvre une ânesse, le mulet ressemble plus au père qu’à la mère par les oreilles, le crin, la queue, la couleur & le port. Au contraire, lorsqu’une jument est couverte par un âne, l’espèce qui en sort tient du mâle par les longues oreilles, par une queue de vache très-courte, par une couleur souvent grise, & une croix noire sur le dos. Les béliers anglois sont souvent, & pour la plupart, sans cornes, parce que, dans le principe, on a choisi par préférence les pères qui n’en avoient pas, & cette privation s’est perpétuée de race en race. La raison a déterminé ce choix : l’animal sans cornes a la tête moins grosse ; la mère le met plus facilement bas, & il ne peut pas blesser les autres. C’est par de semblables accouplemens que l’on parvient à avoir des troupeaux entiers, ou à laine blanche, ou à laine brune, noire, rousse, &c, tout dépend des premiers accouplemens, & des soins que l’on donne aux suivans.

Il suivroit de ce qui vient d’être dit, qu’une belle race une fois établie, soit en mâles, soit en femelles, ne doit jamais se détériorer. Cela est vrai, jusqu’à un certain point, & tant que les animaux se trouveront dans les mêmes circonstances ; mais si au lieu de les tenir toujours en plein air, on presse & on entasse les troupeaux dans une étouffante bergerie ; les maladies de la peau affectent la qualité de la laine qui s’y implante & qui y prend sa nourriture ; une fois viciée chez le père ou chez la mère, les circonstances ne sont plus égales, & la laine perd de sa qualité. La mauvaise nourriture, l’air étouffé & rendu âcre & presque méphitique, agissent fortement sur la constitution de l’animal, & la laine est moins épaisse, & diminue de longueur, parce qu’elle ne trouve plus dans la peau de quoi se substanter. C’est donc toujours la faute du propriétaire, si le troupeau dégénère ; mais en revanche, avec des attentions soutenues, & qui sont plutôt un amusement qu’un travail, il peut remonter son troupeau presque sans sortir de sa province ; & lorsqu’il aura atteint un certain genre de perfection, il doit alors, suivant le climat qu’il habite, faire venir des béliers anglois ou espagnols, leur donner à couvrir ses plus belles brebis, & conserver aux nouveaux nés la même manière de vivre que suivoient les béliers dans le pays d’où on les a tirés. Si avec ces béliers il peut faire venir de belles brebis, le perfectionnement de son troupeau sera plus rapide, & un produit assuré le dédommagera dans peu de ses premières avances. Les peuples amateurs & conservateurs des troupeaux, sont pleinement convaincus de la nécessité d’avoir de beaux & d’excellens béliers ; & un François seroit étonné du haut prix auquel on vend ceux qui sont supérieurs. On a vu en 1758, chez Guillaume Stori, cultivateur Anglois, un bélier de 3 ans, qui pesoit 398 livres d’Angleterre, & qu’il vendit à M. Banks de Harsworth quatorze guinées. Les agneaux qui naquirent des brebis couvertes par ce bélier, ressembloient si fort au père, qu’on payoit au possesseur de cet animal