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manqua le but auquel il vouloir atteindre, parce qu’en distribuant les béliers & les brebis, il n’apprit pas aux propriétaires de quelle manière ils devoient les soigner & les conduire. Les brebis, sans cesse exposées au grand air dans leur pays natal, n’entrant jamais dans les maisons qu’au jour de la tonte, passant l’hiver dans les plaines tempérées, & l’été sur les montagnes, trouvèrent une si grande différence dans le climat, dans les pâturages, & sur-tout dans l’air étouffé & corrompu qu’elles respiroient dans les bergeries où elles furent entassées, qu’il leur fut impossible de résister à une transition aussi subite & aussi peu proportionnée à leur tempéramment ; cependant elles réussirent mieux dans nos provinces méridionales que par-tout ailleurs. Dans la gaule Narbonoise on a conservé le nom de majoral au premier berger, & d’adjudant au second, preuve assez évidente de la communication qu’il y a eu de ce pays avec l’Espagne.

Après la mort de Colbert, en 1682, le système du gouvernement, relatif aux laines & aux manufactures de draps, changea tout-à coup ; la liberté fut anéantie, & la contrainte & les extorsions qui en sont une suite nécessaire, prirent sa place. L’exportation de nos laines fines fut défendue avec sévérité, parce qu’on se figura que celles des provinces méridionales dévoient suffire à la consommation de nos manufactures. Les propriétaires furent obligés de vendre leurs laines aux manufacturiers, & dès-lors ceux-ci devinrent les maîtres du prix. Enfin on contraignit ces malheureux à conduire leurs troupeaux dans le local des manufactures pour y être tondus, ou d’appeler chez eux un commissaire lors de la tonte, ou enfin de faire une déclaration exacte du nombre des toisons ; le tout sous peines de punitions, d’amendes, &c.

Ces gênes, ces entraves, ces découragemens accumulés les uns sur les autres, portèrent la consternation dans l’ame du possesseur des troupeaux ; bientôt ils les négligèrent, enfin les vendirent aux bouchers pour se soustraire à la contrainte. Le gouvernement eut beau donner des interprétations, ajouter des modifications à son premier édit, le mal étoit fait ; ces palliatifs ne dissipèrent pas la crainte, & toute émulation fut éteinte. Tant il est vrai que le gouvernement ne doit s’occuper qu’à assurer la liberté des propriétés, & à multiplier les encouragemens. Le bien s’opère lentement, & le mal très-vite ; le premier, enfant de la liberté, ressemble au grain qui végète & mûrit peu-à-peu, & le second, ou la contrainte, produit les effets de la grêle, qui anéantit en un instant les douces espérances du cultivateur, & qui le ruine.

Sous le dernier règne, le gouvernement fit venir de temps à autre des races à laine fine ; elles ont un peu perfectionné nos laines ; mais comme ces opérations ont été partielles, la masse générale n’en a retiré aucun avantage.

Nous touchons à l’instant heureux de voir un changement total dans cette partie, & cette révolution sera dûe à la patience, au zèle & aux lumières de M. Daubenton de l’Académie Royale des Sciences. Il y a environ quinze ans que cet excellent & modeste patriote s’occupe en silence du perfectionnement de nos espèces de bêtes à laine. Le Gouver-