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moins que celui qui a été plus assidu à son travail. Il faudroit que le gouvernement envoyât des députés chargés de donner des distinctions à ceux des habitans de la campagne dont les biens annonceroient l’assiduité au travail, tandis qu’ils traiteroient avec la dernière rigueur les lâches & les fainéans. Il vaudroit mieux ne point faire de loi, que de laisser entrevoir au paysan qu’on n’en exige pas l’exécution à la rigueur. Le paysan reconnoît tôt ou tard que c’est pour son bien qu’on se sert de la force pour lui faire exécuter ce qui est avantageux. Ne craignez pas l’improbation du public ; douterions-nous que ce qui est honnête & utile n’entraîne pas à la longue son suffrage ! il est certain qu’il y a quelque chose au-dedans de nous qui dit oui, lorsqu’on nous prêche la vérité, lors même qu’elle nous est désagréable. La satisfaction qu’on éprouvera au-dedans de soi-même, lorsqu’on pourra du moins se rendre témoignage qu’on a rempli tout ce à quoi l’on croyoit être obligé, n’est-elle pas déjà une récompense, & la plus belle qu’on puisse éprouver ? Fiez-vous-en à la Providence divine sur la réussite d’une entreprise utile ; quand même elle viendroit à échouer, elle peut encore produire des effets salutaires dans un autre temps. Souvent lorsque le désordre des saisons & des élémens sembloient m’avoir enlevé tout espoir, le ciel me favorisoit encore d’une récolte assez bonne & honnête.

En entrant dans l’intérieur de la maison de Kliyoogg, nous nous confirmerons dans la vérité de cette Sentence de Socrate ; de toutes les professions, l’agriculture est celle qui nous enseigne le mieux la justice & la science du gouvernement.

C’est lui qui exerce dans le ménage les fonctions de pere de famille ; il est cependant le cadet ; mais son aîné a eu assez de lumière & de sagesse pour reconnoître la supériorité que le génie & les talens de son frère lui donnoient sur lui ; il est en conséquence chargé de toute l’administration du travail ; il se contente de l’y seconder avec ardeur. En admettant le système que Kliyoogg s’est formé sur les devoirs d’un pere de famille, on trouveroit au reste peu de personnes qui ne lui en cédassent très-volontiers l’honneur ; il faut, suivant lui, que le pere de famille se trouve toujours le premier & le dernier à tous les ouvrages, & l’essence de son autorité consiste à prêcher d’exemple aux autres individus de la famille, sans cela, tous les efforts que l’on fait, tous les soins que l’on se donne, deviennent inutiles.

Le pere de famille est la racine qui donne à l’arbre entier la force & la vie ; si la racine périt, l’arbre, quelque vigoureux qu’il soit, périra avec elle. De quel front le maître pourra-t-il exiger de ses gens qu’ils ne se rebutent pas dans leur travail, lorsqu’il sera le premier à se rebuter ? Avec quelle autorité pourra-t-il régler & ordonner tout ce qui devra se faire, lorsque le valet sera mieux que lui au fait de la besogne ? au lieu qu’un maître intelligent, & qui donnera l’exemple du travail, aura toujours des valets soumis & laborieux.

Lorsque Kliyoogg a formé une fois une bonne & saine résolution, il sait forcer, avec une fermeté inébranlable, tout son ménage à concourir à