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quoi il meurt & se dessèche. Ce cadavre informe ne conserve point, comme la cochenille, l’extérieur animal : ses traits s’effacent & disparaissent. On ne voit plus qu’une espèce de galle, triste berceau des petits œufs qui doivent éclorre. À peine les œufs sont ils éclos, que les petits animaux veulent sortir de dessous le cadavre de leur mère, pour chercher leur nourriture sur les feuilles du petit chêne, non en les rongeant comme les chenilles, mais en les suçant avec leur trompe.

Le mâle du kermès ressemble dans le commencement à la femelle ; mais bientôt après s’être fixé comme elle, il se transforme dessous sa coque en une nymphe qui, devenue insecte parfait, soulève la coque, & en sort le derrière le premier : alors c’est une petite mouche qui ressemble en quelque manière au cousin ; son corps est couvert de deux grandes aîles transparentes ; il saute brusquement comme les puces, & cherche en volant ses femelles immobiles, qui l’attendent patiemment pour être fécondées. Les a-t-il trouvées, il se promène plusieurs fois sur quelqu’une d’elles, va de sa tête à sa queue, pour l’exciter ; alors la femelle, fidelle & soumise au vœu de la nature, répond aux caresses de son mâle, & l’acte de fécondation a lieu.

La récolte du kermès est plus ou moins abondante selon que l’hiver a été plus ou moins doux. On a remarque que la nature du sol contribue beaucoup à la grosseur & à la vivacité du kermès ; celui qui vient sur des arbrisseaux le long de la mer, est plus gros & d’une couleur plus vive que les autres. Des femmes arrachent avec leurs ongles le kermès avant le lever du soleil. Il faut veiller, dans ce temps de récolte, à deux choses ; 1°. aux pigeons, parce qu’ils aiment beaucoup le kermès, quoique ce soit pour eux une assez mauvaise nourriture ; 2°. on doit arroser de vinaigre le kermès que l’on destine pour la teinture, & le faire sécher ; cette opération lui donne une couleur rougeâtre ; sans cette précaution, l’insecte, une fois métamorphosé en mouche, s’envole & emporte la teinture. Lorsqu’on a ôté la pulpe, ou poudre rouge, on lave ces grains dans du vin, on les fait sécher au soleil, on les frotte dans un sac pour les rendre lustrés, ensuite on les enferme dans des sachets où l’on a mis, suivant la quantité qu’en a produit le grain, dix à douze livres de cette poudre rouge par quintal. Les teinturiers achettent plus ou moins le kermès, selon que le grain produit plus ou moins de cette poudre. La première poudre qui paraît sort d’un trou qui se trouve du côté par où le grain tenoit à l’arbre : ce qui paroît s’attacher au grain vient d’un animalcule qui vit sous cette enveloppe, & qui l’a percée, quoique le trou ne soit pas visible. Les coques de kermès sont la matrice de cet insecte ; c’est ce qu’on appelle graine d’écarlate, dont on tire une belle couleur rouge, la plus estimée autrefois, avant qu’on se servît de la cochenille.

On connoît encore un kermès appellé de Pologne, & qui donne une très-belle teinture rouge avec les préparations précédentes. L’insecte vit sur les racines de la renouée ou trainasse, poligonum aviculare. Lin. Les personnes proposées à cette récolte sont fort soigneuses d’examiner, vers le solstice d’été, si ces grains sont parvenus à leur maturité, & s’ils sont