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sant que le grain doit manquer : mais le bœuf labourera-t-il les champs, s’il est privé de sa nourriture ? Le sénateur ne peut avoir qu’une seule barque, & le poids de son chargement est fixé. Toujours dans l’intention de fasciner les yeux de la populace, le prix des comestibles & des vins est fixé ; les dépenses pour la table, pour les funérailles, sont réglées, &c. N’auroit-il pas été plus sage & plus conforme à la saine politique, de défendre ces distributions immenses de grains à un prix au-dessous de sa valeur ? Ce fut le moyen le plus prompt pour décourager le cultivateur ; & ne trouvant plus le salaire de son travail, il convertit ses champs en verger & en potager, parce qu’il ne craignit plus les dangereuses conséquences d’une concurrence dictée par le luxe & par l’ambition. Enfin, il fallut recourir à l’étranger, avoir des commissionnaires gaulois, espagnols, africains pour manger du pain à Rome : on auroit pu dire que le gouvernement ne songeoit qu’à la subsistance de la capitale, & que le reste de l’empire n’étoit pas digne de ses regards. Et voilà cependant ce peuple dont on ne cesse de vanter les vues & les principes agricoles ! Quelques traits ajoutés à ce tableau suffiront pour l’achever.

L’étendue prodigieuse des domaines de la république fut, ou concédée sous un cens qu’on ne paya plus, ou livrée à des fermiers par un bail de cinq ans. Ce terme trop rapproché nuisoit essentiellement au domaine. Le fermier, loin d’y faire des améliorations dont il n’auroit pas eu le tems de profiter, semblable à la sangsue, l’abandonnoit lorsqu’il avoit épuisé le terrain. Des droits de tous les genres furent établis sur tous les grands chemins, aux portes de toutes les villes, & on ne pouvoit plus faire un pas sans rencontrer une foule de demandeurs. Les tarifs des droits n’étoient connus que des fermiers de ces droits ; dès-lors l’arbitraire le plus affreux dans leur perception, & les concussions les plus criantes. Les gouverneurs de provinces, rois & despotes dans leur gouvernement, étoient pour le peuple un fléau aussi redoutable que les traitans. Sous prétexte du logement des gens de guerre, de pourvoir à leur subsistance, à l’entretien des chemins, &c., le cultivateur étoit foulé, vexé & écrasé. Et voilà ce peuple-roi si vanté ! ce peuple qui jadis avoit institué des fêtes en l’honneur des bœufs destinés au labourage ; qui éleva un temple au Dieu Fumier, connu sous le nom de Stercutus, pour leur avoir enseigné l’usage des engrais sur leurs terres ! Ce qu’on vient de dire prouve visiblement qu’aussitôt après les rois, le systême d’agriculture ne fut plus lié au systême politique du gouvernement de Rome ; que lorsque ces deux objets ne se trouvent pas réunis dans tout État quelconque, sa gloire, sa splendeur tiennent aux circonstances passagères, & sa prospérité ne peut être de longue durée.


CHAPITRE III.

En quoi consistoit l’Agriculture des Romains ?

Il est assez démontré que lors de