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Section III.

La Reine est seule de son espèce dans la ruche ; les ouvrières n’en souffrent jamais plusieurs.


Les abeilles ne souffrent jamais qu’un chef à la tête de leur république : toutes les fois qu’on a introduit une reine parmi des abeilles qui en avoient une, ces républicaines l’ont chassée ou l’ont fait mourir. La prodigieuse fécondité de ces femelles, qui les exposeroit à des travaux excessifs, est sans doute la cause qu’elles n’en veulent qu’une. Lorsqu’un essaim est sorti de la mère-ruche, à la suite du chef qu’il a choisi, les abeilles qui sont demeurées, chassent toutes ces reines surnuméraires, qui ruineroient l’état ; n’ayant point de colonie à conduire, elles sont peu disposées à quitter leur patrie, & à s’éloigner d’une habitation où les provisions sont en abondance : elles s’obstinent donc à demeurer, & la mort est toujours la peine & le châtiment de leur obstination.

M. de Réaumur a fait l’expérience la plus décisive, pour s’assurer qu’il n’y avoit jamais qu’une reine dans chaque république d’abeilles : il plongea une ruche dans un baquet rempli d’eau, pour en noyer toutes les abeilles ; après les avoir retirées, il les tria une à une, & il ne trouva parmi elles qu’une seule reine. D’autres fois il en a introduit dans des ruches, après leur avoir mis sur le corcelet une couleur à huile avec un pinceau, afin de les reconnoître ; elles furent assez bien accueillies de celles qui se trouvoient de garde aux portes ; celles de l’intérieur s’empressèrent aussi d’aller à elles ; mais le lendemain il les trouva mortes au bas de la ruche.

S’il y avoit deux reines dans une ruche, quand même elles vivroient en bonne intelligence, & que les ouvrières les souffriroient, le bien commun de la société n’en iroit pas mieux, & l’état seroit bientôt près de sa ruine. En supposant qu’elles fussent bien fécondes, le nombre des cellules ne suffiroit pas pour recevoir tous les œufs qu’elles pondroient ; elles seroient donc forcées d’en mettre plusieurs dans la même. Hé, comment ces petits vers, qui, dans leur état de nymphe, doivent en remplir toute la capacité, pourroient-ils y être logés ! ils s’étoufferoient mutuellement. Que deviendroit donc l’espérance des ouvrières, qui ne travaillent, avec tant d’ardeur, que pour la famille qu’elles attendent, qui doit partager leurs peines, & remplacer leurs compagnes, que la vieillesse ou les accidens leur enlèvent tous les jours ? Quoique cruel, c’est donc un sage parti de tuer toutes ces reines surnuméraires : la vie d’un être privé ne doit-elle pas être sacrifiée à l’avantage du bien public qui résulte de sa mort ?


Section IV.

Quelles sont les occupations & les fonctions de la Reine.


Les occupations de la reine la retiennent absolument dans l’intérieur de son palais ; elles consistent à visiter toutes les cellules, à entrer dans toutes, pour examiner si elles sont en état de recevoir le dépôt qu’elle veut y placer. À la tête des