familier, sans apprêt, que l’auteur a jeté comme une draperie canadienne sur les pages de son livre, ne trouverez-vous pas qu’il y a là vraiment tout ce qu’il faut pour faire de M. de Gaspé, non pas, sans doute, l’Homère des Canadiens, ni leur Turoldus, mais peut-être bien le conteur naïf, et le plus charmant, des choses de leur passé, l’évocateur le plus puissant des mœurs et d’une civilisation à peu près déjà disparues, et pour cela même le chantre vraiment épique d’une phase merveilleuse de leur histoire ?
Nous en avons le témoignage de M. de Gaspé lui-même, c’est d’abord pour faire de l’histoire qu’il écrivit son livre, et qu’il se fit auteur à l’âge de 77 ans. Et c’est le mouvement littéraire de 1860 qui orienta de cette façon l’esprit du vieillard. Les Soirées Canadiennes, que fondèrent, en 1861, Joseph-Charles Taché, le docteur Hubert Larue et l’abbé Casgrain, avaient pour épigraphe cette parole de Charles Nodier : « Hâtons-nous de raconter les délicieuses histoires du peuple avant qu’il les ait oubliées. » L’année précédente, l’abbé Casgrain avait lui-même publié les Légendes, qui furent son entrée très bruyante et très applaudie dans les lettres canadiennes. M. de Gaspé les lut sans doute avec avidité, ces légendes qui avaient couru les campagnes de la Rivière-Ouelle, et elles firent s’éveiller au fond de son esprit tout un monde de vieux et chers souvenirs. Mais il entendit surtout comme un appel fait à lui-même le mot de Charles Nodier, que répétaient chaque mois à leurs lecteurs les Soirées Canadiennes, et il entreprit donc de raconter à son tour, avant de descendre dans la tombe, les histoires et les légendes qui avaient enchanté sa vie et sa mémoire.
Il était né en 1786, vingt-six ans seulement après les guerres de la conquête ; il avait donc recueilli sur les