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JEAN RIVARD

aussi qu’il aurait bien dû — voulant retrancher quelque chose — ne pas amorcer inutilement la curiosité du lecteur et supprimer la candidature elle-même de Jean Rivard et son élection — si exemplaire que celle-ci ait été, ne s’étant faite qu’avec des prières. Mais je soupçonne Gérin-Lajoie d’avoir voulu insinuer par cet épisode malsonnant de la vie de son personnage que si, dans notre démocratie, un colon peut ainsi s’élever jusqu’aux plus hautes situations sociales, cet homme de la forêt et des champs ne doit pas s’aviser de quitter les manchons de la charrue pour prendre en main, selon une bien vieille métaphore, le timon des affaires de l’État, et que c’est à ceux-là seuls qui ont une solide culture et une grande valeur intellectuelle qu’une semblable tâche peut convenir : thèse très discutable, que l’auteur et seulement esquissée, et qui ne laisse pas dans l’esprit du lecteur des conclusions assez nettes, ni assez précises.

L’on n’en veut donc pas à Jean Rivard de revenir tout entier à sa vie première, si active et si utile. Dans les derniers chapitres du roman, l’auteur s’applique à nous montrer, dans le plus merveilleux épanouissement, l’œuvre économique et sociale que son héros a réalisée. Et le livre se ferme sur une causerie de Gérin-Lajoie avec Pierre Gagnon, le compagnon si courageux de la première heure, qui a gardé pour celui qu’il appelle son bourgeois et son empereur, une sorte de culte qui va jusqu’à l’enthousiasme. Pierre Gagnon résume ainsi, et à sa façon, tout le mérite et toute la vertu de Jean Rivard :

« Je voudrais, dit-il, que vous puissiez le connaître à fond. Il est aussi savant que monsieur le curé, il sait la loi aussi bien qu’un avocat, ce qui n’empêche pas qu’il laboure une beauté mieux que moi. Il mène toute la paroisse comme il veut, et s’il n’est pas resté membre de la chambre, c’est parce qu’il n’a pas voulu, ou peut-être parce qu’il a eu peur de se gâter, parce que l’on dit que parmi les membres il y en a qui ne sont pas trop comme il faut. Enfin, monsieur, puisque vous êtes avocat, je