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LES ANCIENS CANADIENS

Il n’est pas inutile de rappeler, ici, que l’abbé Casgrain a quelque peu remanié, du consentement de l’auteur qui lui avait confié son manuscrit et avec qui il corrigea les épreuves, le commencement et la fin du roman. Le premier chapitre et le dernier avaient des longueurs interminables ; le vieillard causait, causait sans tarir. L’abbé Casgrain coupa dans le vif de ces trop longs développements, et ce sont là, d’ailleurs, les seules retouches appréciables qu’il fit à cette œuvre. Nous tenons de l’abbé lui-même, avec qui nous en parlions un jour, qu’il a respecté tout le reste du texte. Il ne faudrait donc pas accepter trop facilement l’opinion de ceux qui ont pensé et affirmé que les Anciens Canadiens avait été trop soigneusement et trop largement revu et corrigé par Casgrain.[1]

  1. Voir encore, à ce sujet, les Mémoires ou Souvenances Canadiennes inédites de l’abbé Casgrain, III, 24, 20-21. Nous croyons intéressant de mentionner ici le fait très peu connu que M. de Gaspé, désireux de reconnaître les services que lui avait rendus l’abbé Casgrain, voulut lui dédier son livre, et écrivit donc à l’abbé une lettre-dédicace que celui-ci, « moins par modestie que par la répugnance invincible qu’il éprouvait à paraître se mettre en évidence », crut devoir refuser. L’abbé Casgrain reproduit cette lettre dans ses Souvenances, III, 24, 22-23. Voici cette page que M. de Gaspé avait voulu mettre en tête de son roman :

    M. l’abbé,

    Le sentier que j’avais à parcourir, lorsque je commençai à écrire les Anciens Canadiens, me paraissait jonché de fleurs, mais je dus m’apercevoir bien vite qu’il était, au contraire, couvert de ronces et d’épines. Je continuai, néanmoins, espérant franchir tous les obstacles de cette route pénible. Le bandeau ne me tomba des yeux qu’à la lecture de l’ouvrage, quand il fut achevé. Bah ! pensai-je, je n’aurai pas toujours perdu mon temps : je laisserai mon manuscrit comme un souvenir affectueux à ma nombreuse famille ; et à cette fin, je l’enfermai bien précieusement dans mon tiroir, d’où vous l’avez retiré pour le livrer à l’impression, malgré ma répugnance.

    Si j’étais capable d’autres sentiments envers vous, M. l’abbé, que de ceux de l’amitié la plus sincère, je vous conserverais de la rancune pour un acte aussi téméraire ! N’importe ; je me permettrai toujours de vous faire une petite espièglerie en vous dédiant, à vous, littérateur distingué, malgré votre jeunesse, à vous, protecteur dévoué de la bonne littérature canadienne, cette œuvre éphémère.

    Vous avouerez, M. l’abbé, que c’est assez mal reconnaître les excellents conseils que vous m’avez donnés, les soins que vous donnez à l’impression de mon ouvrage, que de chercher à vous rendre solidaire de ses défauts ; mais la vieillesse est rancunière.

    Ce qui n’empêche pas, M. l’abbé, de me souscrire avec une considération très distinguée, votre serviteur dévoué et ami.

    L’AUTEUR

    On trouvera l’original de cette lettre dans le, premier volume de la collection des Lettres diverses manuscrites de l’abbé Casgrain, conservées aux Archives du Séminaire de Québec.