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LES ANCIENS CANADIENS

Deux sentiments surtout résument toute cette morale et toute cette conférence que fait à Jules le bon gentilhomme : celui d’une misanthropie assez profonde, et celui, plus chrétien, et qui sert à l’autre de correctif, d’une pitié grande pour ce barbare civilisé qu’est l’homme lui-même.

De Gaspé avait d’abord aimé la vie ; il l’avait fêtée avec entrain dans sa jeunesse, alors qu’à lui, seigneur et maître d’une assez belle fortune, elle ouvrait des perspectives de lumière sans ombre, et des chemins tout semés de fleurs. Avocat au barreau de Québec, puis bientôt shérif, il s’installa avec confiance dans cette situation qui lui permit de continuer les plaisirs insouciants qui avaient distrait ses vingt ans. Il obligea sans compter les amis qui se groupent toujours nombreux et avides autour de celui qui a de l’argent ; il distribua au hasard ses largesses et son bien ; il s’étourdit dans les fêtes dont s’enivrait son existence ; il mêla et confondit ses ressources personnelles et celles de l’État, et quand, un jour, M. de Gaspé s’éveilla de ce rêve où s’était abîmée sa fortune, il était trop tard. Ses amis le quittèrent, firent le vide autour de lui, et l’abandonnèrent aux créanciers qui, le trouvant insolvable, le firent enfermer pour quatre ans dans une prison.

Il faut lire, dans le texte lui-même, le récit que fait M. d’Egmont des extravagances, des joies, des cruelles déceptions de sa vie. Et il faut recueillir de ses lèvres, pendant l’entretien de ce philosophe avec Jules, au bord d’un ruisseau où se mirent les branches touffues d’un noyer, les leçons qu’il dégage des accidents de cette vie. C’est un dialogue dont la mise en scène fait penser à ceux de Platon ; on dirait le jeune Phèdre, assis aux côtés de Socrate, sur les bords de l’Ilissus. Mais cette fois Socrate désespère de corriger les Athéniens, de les rendre meilleurs, et il étale avec quelque complaisance le plus sombre pessimisme.

« Tout homme qui, à quarante ans, n’est pas misan-