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ROMANCIERS DE CHEZ NOUS

souvenirs[1] et prononce d’autorité ses propres jugements. Si bien que non seulement la vie des anciens Canadiens, mais la vie même de M. de Gaspé afflue dans son œuvre et s’y concentre, s’y répand et en déborde. Ce roman est, en vérité, une première série des Mémoires. Ce sont les premières confidences de l’auteur au public. L’un des principaux héros du livre, M. d’Haberville, n’étant pas autre, en réalité, que le grand-père de M. de Gaspé, cet Ignace-Philippe-Aubert qui fit rudement son devoir de soldat dans les guerres de la conquête, et dont le manoir fut incendié par les Anglais,[2] le petit-fils ne pouvait s’empêcher de raconter ses souvenirs, de consulter sa propre vie, de dire ses impressions, et de nous révéler l’âme que lui avait façonnée la religion du foyer. Il voulut même aller jusqu’à des confessions douloureuses, et livrer aux lecteurs ce qu’il aurait pu facilement leur cacher : sous le masque de M. d’Egmont, il raconte les extravagances, les poignantes angoisses, les tristesses fatales de son existence propre.

Aussi, quand on ramasse, ici et là, les réminiscences, les enthousiasmes, les ironies et les haines, les aveux et les regrets de l’auteur, et que l’on prend garde à la façon dont tout cela est dévoilé, exprimé et raconté, on voit peu à peu se reformer, sous le regard de l’imagination, la physionomie de l’écrivain, ses états d’âme, et se dessiner et s’accuser les lignes principales de son portrait.

Et ce portrait psychologique ressemble assez, croyons-nous, au portrait physique que l’on a gardé de ce septuagénaire. Il n’y a pas, certes, que de la bonhomie dans ce visage de vieillard où la vie avait imprimé de si multiples et diverses sensations. Il y a aussi des traces de pensées élevées, de passions ferventes, de tristesses mé-

  1. Voir, par exemple, à la page 148, le souvenir de sa prière pour les morts que lui faisait, chaque jour, réciter sa mère.
  2. Cf. Biographie de M. de Gaspé, par l’abbé Casgrain, dans Œuvres Complètes, II, 250.