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ROMANCIERS DE CHEZ NOUS

sans pitié le cœur humain. C’est la partie la meilleure de son roman.

Il a voulu mêler l’histoire littéraire à ses études d’âmes. Il fait de l’excellente critique de nos premiers poètes et prosateurs ; mais bien vite cette critique tourne en hors-d’œuvre. Une fois le roman psychologique bien amorcé, les leçons de littérature qui, dans les lettres s’ajoutent aux explications sentimentales, ne peuvent qu’allonger sans profit cette correspondance.

Au surplus, les lettres elles-mêmes sont en général trop longues. Il y a de la diffusion dans ces effusions du cœur, et l’on souhaiterait que l’auteur ramassât davantage sa psychologie. La lettre qui tourne en dissertation perd de cette spontanéité, de cet entrain qui lui sont des qualités essentielles.

Il faut louer M. Antonin Proulx pour son art du dialogue. Maintes pages de son roman sont, à ce point de vue, conduites avec un brio, un naturel, une précision de la pensée, et du sentiment et de la formule, qui sont excellents.

D’ailleurs le style du livre est en général ferme et alerte. Trop abondant, prodigue de lui-même, négligé quelquefois : « il regarda Alice avec malice (p. 211) », trop uniforme sous les plumes masculine de Gérard et féminine de Gabrielle, il se relève quand il le faut par l’expression pittoresque, par l’image juste, délicate qui s’y insère comme une fleur discrète, comme une juste parure. Les rares descriptions du roman sont excellentes.

Le Cœur est le Maître est donc une œuvre qu’il faut applaudir. Cette œuvre annonce un romancier qui entre avec d’innombrables ressources dans la carrière.

Mars 1931.