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JUANA, MON AIMÉE

Lebeau. Et c’est la vie même des Lebeau, qui, malgré l’isolement où elle s’écoule, offre au romancier les scènes, les actions, les souffrances, les ennuis mornes, les joies rares et discrètes qui enveloppent de leur atmosphère l’idylle de Raymond et de Juana.

Et l’on rapporte de cette vie une première impression de tristesse ou d’ennui que justifie trop la réalité. Que l’on songe d’ailleurs qu’il ne s’agit pas, dans ce livre, de la Saskatchewan d’aujourd’hui — l’auteur nous en avertit — mais de la Saskatchewan telle qu’il la vit lui-même il y a bon nombre d’années, à une époque où la vie humaine y était plus rare et plus féconde en nostalgies.

C’est elle, la nostalgie, la nostalgie des villes industrielles de l’Est, qui désole la femme Lebeau, et qui emplit de ses doléances sempiternelles la maison pauvre, nue, sans agrément, où s’abrite la famille. Il faudra à cette femme qui gâte par ses jérémiades la paix simpliste et raisonnable de son mari, et la joie facile des enfants, il lui faudra un voyage à Montréal, pour qu’elle préfère enfin à la vie des manufactures, aux plaisirs factices, à la misère toujours menaçante dans les villes, l’indépendance, le bon air, la sécurité, les trois repas par jours assurés, de la vie des fermiers de l’Ouest.

Harry Bernard a décrit avec une sobre vérité cette vie laborieuse, si peu confortable, à première vue pénible du fermier, dans une maison faite de troncs d’arbres équarris, retenus ensemble par du mortier, et que Lebeau avait écorcés lui-même, maison sans ornements ni élégance, et dont l’intérieur frustre ressemble à l’extérieur.

Seulement cette peinture primitive, qui se développe en repoussoir sur le devant du tableau, fait mieux s’accuser les reliefs subtils de la vie sentimentale des deux jeunes gens. Et la sensibilité avec laquelle l’auteur raconte les scènes les plus rustiques de la vie lourde du fermier, se nuance des plus délicates ferveurs quand il construit la vie amoureuse de Raymond et de Juana. Il sait envelopper de poésie discrète et de sympathies le