voit ici une idylle, maintes fois renouée dans la prairie, qui anime tout le décor du livre, et qui par le héros principal se prolonge dans tous les personnages. Les courses sentimentales de Raymond dans la prairie ont leur répercussion dans la ferme des Lebeau. Est-ce l’idylle qui s’insère dans l’histoire de la ferme ? est-ce l’histoire de la ferme qui s’incorpore à l’idylle ? Tout cela est fortement lié, et c’est l’un des principaux mérites de Juana, mon aimée, que de donner cette impression de plénitude que procure seule l’image d’une vie totale.
Le cadre, le cadre vaste, infini, dans lequel se répand sans limite la prairie, est lui-même nécessaire à l’idylle. Celle-ci y prend un caractère d’aventure qu’elle ne peut trouver ailleurs que dans ces steppes de la Saskatchewan. Et l’idylle en devient singulièrement plus originale. M. Harry Bernard a vécu dans ces immenses étendues de terres et d’horizons, et il a réussi à nous en donner plus qu’une impression : il en a donné la vision nette, multiple malgré l’uniformité nécessaire des grandes lignes, et toute chargée des détails essentiels.
Il ne veut pas d’ailleurs que l’on garde de la prairie canadienne l’image d’une terre invariablement plate que trop souvent l’on a dessinée. Il la montre extrêmement diverse, et il fait voir comment elle se creuse ou se soulève, et se déroule en souples ondulations, à travers lesquelles se multiplient tout à coup le miroir éclatant des lacs grands ou minuscules et la surface terne des marais. Une vie abondante anime d’ailleurs ces prairies que l’on croit être des solitudes.
La prairie est fort vivante, par sa flore et par sa faune.
« Elle grouille de vie animale. J’ai parlé des canards, qui sont de vingt familles différentes. Canards noirs et canards gris, milouins aux yeux rouges, à tête rousse, sarcelles et morillons, canards de toutes tailles et de tous les âges, qui encombrent les rivières et les lacs, les marais, jusqu’aux fossés débordés, le long des voies ferrée ». La prairie est également riche d’outardes, de poules d’eau que le profane confond avec les canards, de bécassines à