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L’OUBLIÉ

« Qu’elle me garde surtout de toute lâcheté et qu’elle vous donne le bonheur, répondit-il, sans trop savoir ce qu’il disait.

« Oui, c’était bien vrai que Lambert Closse ne voulait que s’immoler pour ses frères ; mais ce soir-là, le vent glacial éveillait tout un orchestre lugubre dans la forêt dépouillée, et quand le héros se vit seul dans son appartement du fort, une lourde tristesse tomba sur son cœur.

« Il ouvrit un livre, mais l’image d’Elisabeth était restée dans ses yeux. « Elle est heureuse » ! se disait-il. Il songeait à sa jeunesse, à la vie qu’elle menait dans l’hôpital clôturé de pieux… Il avait deviné sa sensibilité profonde, passionnée, il sentait en elle une âme amoureuse d’aimer, et son bonheur incompréhensible le faisait rêver[1]. »

Il y a ici et là, dans L’Oublié, entre Lambert et Elisabeth, d’autres scènes qui sont d’une exquise douceur, et toutes pénétrées de cette sensibilité à la fois très tendre et très saine dont Laure Conan garde le don précieux.

Ce que seulement nous reprochons ici à Laure Conan, c’est d’avoir créé un rival à Lambert, et d’avoir allumé une passion très vive pour Elisabeth dans le cœur de ce pauvre Claude de Brigeac. Non pas que cela ne soit pas naturel. Les choses se passent souvent ainsi dans le monde, et longtemps encore, sans doute, on se disputera le cœur des bonnes Elisabeths. Mais, en vérité, pourquoi n’avoir pas donné à cette passion de Claude de Brigeac tout le développement qui eût pu la rendre intéressante ? Et pourquoi nous dire qu’il aime tant Elisabeth, s’il ne doit faire dans toute la suite du roman que deux ou trois courtes apparitions, et si surtout on ne le rencontre que pour le voir soupirer, pâlir, rêver et s’amaigrir en silence ? Il faut, paraît-il, dans toute pièce, un personnage sacrifié. Eh bien ! de Brigeac est ici le héros

  1. L’Oublié, pp. 110-115.