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UN TRISTE ÉVÉNEMENT
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le vocable de : monts Vermillon. La rivière est moins large là, et ses eaux coulent plus vite entre les rives resserrées. Point n’était besoin de continuer à se servir de la voile, ni de ployer aussi vigoureusement les avirons. Joseph ordonna donc un relâchement ; d’ailleurs, le danger était moins imminent, pensait-il, depuis que l’on avait dépassé le lieu habité par les Kinongé-Ouilinis.

Ceci s’était fait le matin.

Vers la soirée, une désagréable surprise attendait les Français au détour d’un coude de la rivière ; ils faillirent tomber au milieu d’une flottille, montée justement par ceux-là mêmes, dont ils croyaient avoir eu la chance d’éviter le contact.

Les sauvages furent aussi surpris que les blancs, mais Joseph, le premier recouvra sa présence d’esprit ; et ordonna immédiatement un mouvement de recul.

Les Kinongé-Ouilinis revenaient de leur stupéfaction. Quelques-uns reconnurent dans les visages pâles les prisonniers qui s’étaient échappés de leurs mains un an auparavant. Il n’en fallait pas davantage pour stimuler leur férocité. Ils se croyaient sûrs de leur proie, et avaient des cris de joie à l’idée que les blancs retombaient en leur pouvoir.

Les barques indiennes se rapprochèrent de celles des Français.

La manœuvre exécutée au commandement de Joseph avait pour effet de le maintenir le dos au soleil, et au contraire plaçait les peaux-rouges dans une position telle que, lorsque ceux-ci tireraient, les rayons frappant leurs yeux nuiraient à l’efficacité de leurs coups.

Ce plan n’était pas neuf, mois n’en était pas moins bon pour cela. Il avait été employé avec succès dans une rencontre que fit M. DuLhut sur le lac Saint-Louis, avec une bande d’Iroquois.

Joseph avait divisé ses soldats en deux pelotons. Cinq devaient tirer, puis Pierre, lui, et deux soldats, formaient la seconde division.

Pierre demanda à Dona Maria de se coucher dans le canot, afin de ne pas servir de point de mire aux sauvages, mais elle refusa bravement de se prêter à ce désir, et supplia Joseph de lui donner une arme, un fusil, pour venger son père assassiné par des visages-cuivrés comme ceux qu’elle voyait actuellement. Il y avait un fusil de surplus : elle le prit et voulut faire partie de la seconde escouade.

— Ne perdez pas votre poudre, recommanda Joseph ; visez juste autant que possible, et que chaque coup soit mortel ou fatal à l’ennemi.

Et les dix fusils des Français avaient une précision remarquable.

Les Kinongé-Ouilinis, étonnés de cette défense si bien soutenue, furent finalement obligés de plier et à prendre la fuite.

Pas un blanc n’était blessé, quand de la Vérendrye songea à s’éloigner aussi promptement que possible de cet endroit, qui devenait bien dangereux maintenant. Les sauvages, ayant gagné terre, pouvaient, protégés par les arbres, leur décocher avec impunité des coups mortels. Ce fut ce qui arriva, et un cri parti tout-à-coup de l’un des canots annonça qu’une balle ennemie avait frappé. À leur grande horreur à tous, c’était la jeune fille qui succombait. Le projectile l’atteignait au cœur : elle expira presque aussitôt.