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MADEMOISELLE D’AMPURIAS

« Je voyais toujours arriver avec délice l’époque des vacances ; durant ce temps, que je passais au château d’Ampurias, chacun me gâtait ; j’étais choyée, caressée.

« Je venais d’atteindre ma quinzième année ; au retour des vacances, je retrouvai mon père à la demeure seigneuriale. Il revenait au foyer de ses ancêtres pour s’y fixer, étant rassasié de la vie de la cour.

« Il fut charmé des choses que j’avais apprises chez les bonnes religieuses de Rosas, il me le dit, ainsi que d’autres compliments très-flatteurs pour ma petite personne, et que je ne répéterai pas devant vous, senors

— Mais que nous devinons, dit Pierre, et que nous…

— Chut ! dit-elle, n’achevez pas, ou je croirai… que vous ne parleriez, comme mon père, que pour me faire plaisir…

Pierre voulut protester mais Dona Maria s’empressa de continuer :

Un jour, mon père me dit : Mon enfant, je ne dois pas te cacher plus longtemps l’état de notre fortune. Après le décès de ta mère, abîmé de chagrin et de douleur, je n’ai pas été assez courageux pour demeurer à Ampurias ; la solitude me pesait ; il me fallait du bruit, de l’excitation, et je courus à Madrid où les distractions abondent.

« Je suppliai mon père de ne pas en dire davantage ; il m’était revenu, cela me suffisait. Nous vivrions tous deux désormais dans le castel d’Ampurias, heureux ; mais mon père m’arrêta me disant : — « Tu ne sais pas tout, chère enfant, et il faut que je parle. Dans cette vie étourdissante de la capitale, j’ai semé l’or à pleines mains ; j’ai parié des sommes considérables au jeu, et je reviens ici quasi ruiné. Ce toit même, qui nous abrite est hypothéqué, et il ne me reste qu’une ressource pour redorer mon blason…

« J’ai bien songé d’abord à un second mariage… mais à moins de commettre une mésalliance, qui voudrait du viveur ruiné ?… Cet aveu de mes fautes, ma chère fille, m’est pénible, mais je m’y force comme punition de mes faiblesses. L’autre ressource qui me reste est celle-ci : j’ai envie de réunir tout l’argent dont je puis disposer, m’acheter un bâtiment, me recruter un équipage parmi les gars de notre domaine d’Ampurias, et faire voile pour la côte Ouest de l’Amérique du Nord. Je trafiquerai, avec les indigènes, pour des pelleteries, de l’argent et de l’or, s’il y en a.

« J’acquiesçai entièrement à son projet, et mon père s’empressa de le mettre à exécution. Nous partîmes : notre voyage dura plusieurs mois, mais enfin, nous atterrîmes sur une île, près de la côte américaine.

« M. d’Ampurias y construisit de vastes magasins pour recevoir les objets de son commerce avec les sauvages. Tout allait bien ; la fortune semblait vouloir nous sourire, quand un matin, des sauvages de la terre ferme nous firent des signaux. Il n’y avait rien d’anormal en cela, tous nos rapports avec les peaux-rouges, lorsqu’ils voulaient communiquer avec nous, préludaient ainsi

« Il s’agissait d’échanges avec un parti de Sioux.