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SECOND VOYAGE À LA PIPE

Subissant la loi des contrastes, et à son insu, la belle enfant trouvait le blond lieutenant de Joseph plus aimable que celui-ci.

Son esprit ouvert, enjoué, avait fait impression sur son cœur.

Cupidon — qu’on ne s’étonne pas de le voir ici : il est partout ; s’il ne remplit pas le ciel, il remplit la terre — a donné aux senoritas de l’Espagne, pour lui offrir des victimes, une jolie main, un éventail, et de grands yeux noirs d’un charme infini.

Dona Maria n’avait pas d’éventail, — mais en eût-elle possédé que à cause de la saison hivernale, cet objet n’eût pu convenablement lui servir. Toutefois, elle pouvait bien s’en passer ; le jeu de ses yeux, de cette nuance qu’aimait Pierre, lui suffirait amplement pour l’accomplissement d’un dessein qui venait de naître dans sa tête de jeune fille. Elle avait d’abord repoussé cette idée, ne voulant pas y songer trop longtemps de crainte d’y succomber ; mais un jour, après une conversation avec Pierre, ayant finement manœuvré, elle avait cru discerner ce qu’elle désirait connaître.

Et en tremblant, elle s’avoua que, si elle pouvait gagner l’amour de Pierre, ce serait pour elle le plus grand bonheur sur terre.

Et Pierre ?

Oh ! il subissait le charme de cette gracieuse fille d’Ève. Lui qui avait vécu depuis près de deux ans loin de Montréal ; loin de ses gaietés, de ses belles fêtes et de ses jolies filles, avait trouvé avec plaisir qu’à la beauté, Dona Maria joignait des qualités sérieuses, et de l’esprit.

Naturellement, sous les cruelles circonstances qui avaient changé et bouleversé son existence, et durant sa captivité, l’Espagnole n’avait pu supporter les dures épreuves qui l’avaient assaillie sans en montrer des traces, sur son visage, et sans avoir intérieurement l’âme endolorie.

Se sachant hors des mains des Yhatchéilinis, et faisant un retour sur les quelques derniers mois, témoins de ses malheurs, elle pleura amèrement, s’abîma dans la tristesse de l’être qui n’a plus ni parents ni amis ; puis, ses larmes furent moins abondantes, et elle examina ce qui se passait autour d’elle, machinalement d’abord, avec intérêt ensuite, et enfin avec plus d’attention.

Elle renaissait à la vie.

C’est alors qu’elle remarqua plus particulièrement M. de Noyelles.

Joseph s’était aperçu d’un faible changement dans les manières de son intime. Le nom de Dona Maria revenait souvent dans leurs conversations, et qui l’y amenait ? toujours Pierre.

Un jour, ce dernier fut tout interloqué quand Joseph lui demanda malicieusement laquelle de l’Espagnole ou de la Canadienne, Mademoiselle de la Périère, avait le plus doux regard ? Et le soir lorsqu’il fut seul, repassant dans sa mémoire les incidents de la journée. Pierre se dit :

— Serais-je amoureux de la senorita ?

Longtemps dans son lit, il rêva, les yeux ouverts, jusqu’à ce que le sommeil vînt clore ses paupières.

Le jour suivant, en rencontrant Joseph :