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L’ESCLAVE BLANCHE DES YHATCHÉILINIS

qu’ils habiteraient quand la captive du Corbeau entrerait au fort.

Le logis des officiers comprenait un appartement de deux pièces : les chambres de Joseph et de Pierre. On avait laissé dans celle de Pierre les meubles nécessaires à la chambre d’une jeune personne ; l’autre servait de salle de réception, ou salon. Les murs étaient ornés d’une carte grossière du pays qu’avait traversé les Français ; des trophées rapportés des chasses de Pierre et Joseph, et sur le plancher, trois magnifiques peaux d’ours et de panthère. Une table au milieu de la chambre, et des escabelles le long des murs complétaient cet ameublement

Ne sachant pas l’espagnol, M. de la Vérendrye parla en français à la jeune fille quand il la vit. Il n’espérait pas de réponse, doutant qu’une personne d’un âge aussi tendre sût d’autre langue que celle de son pays. Il éprouva un sentiment de surprise et de joie en recevant une réponse, sinon en bon français, du moins suffisante pour se faire comprendre.

Elle se dit Espagnole et se nomma Dona Maria d’Ampurias de Villajoyosa.

Pierre à la dérobée avait examiné la jeune fille et la trouvait… de son goût — et quand un homme se dit en voyant une femme, qu’elle est de son goût, c’est qu’il la trouve exquise. Donc, Pierre avait remarqué en l’Espagnole une agréable figure ; un pied bien cambré ; une main de duchesse ; un menton où se creusent coquettement une fossette ; deux lèvres ni trop minces ni trop épaisses, dénotant la bonté, mais d’un beau rose, provoquant un désir fou de les baiser ; — c’est ce que pensait M. de Noyelles, — le nez un peu gros peut-être ; les oreilles moyennes et bien ourlées ; mais les yeux… les yeux de la nuance qu’aimait l’ami de Joseph : les noirs… et les plus beaux qu’il eût vus !

Après s’être nommés, Joseph et Pierre, pensant qu’elle aimerait mieux être seule, prirent congé d’elle. Dans l’après-midi, elle fit dire aux deux officiers qu’elle était prête à leur visite, s’ils condescendaient à venir la voir.

— Senors, dit l’Espagnole en s’avançant de quelques pas au-devant d’eux à leur entrée, senors ! comment vous remercier de m’avoir arrachée des mains de ces barbares ? Comment vous dire ce que mon cœur ressent de reconnaissance, de gratitude parce que vous m’avez soustraite à la triste destinée à laquelle j’étais vouée ? Croyez-le bien, senors : Je prierai Dieu pour vous chaque jour… jusqu’à mon dernier soupir !…

Et la jeune fille, émue, s’arrêta un moment.

Elle offrit des sièges à ses visiteurs, et prit place elle-même près de la table.

— Oh ! mademoiselle, dit Joseph, toute autre personne civilisée de la race blanche eût agi comme nous. Le bon Dieu a voulu qu’hier soir nous fussions près du ouigouam du chef des Yhatcheilinis au moment où nous vous avons entendue exhaler le trop plein de votre tristesse, dans un chant mélancolique de votre pays ; puis, les sanglots qui succédèrent, et à la voix rude qui vous parla nous confirmèrent