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VENGEANCE DE PEAU-ROUGE

— Certainement. Il faut que nous parcourions la distance qui nous sépare de la Pipe dans la journée de demain et, comme c’est assez loin, je désire partir de bonne heure.

— C’est très bien. Je vais me préparer pour ce voyage.

De la Vérendrye avait une raison spéciale pour fixer son départ à une heure si matinale : c’était afin de n’être pas remarqué des Yhatchéilinis. Sachant les deux officiers absents pour un espace de temps — le plus long qu’ils eussent été absents du fort — les sauvages pouvaient songer à en profiter et vouloir s’emparer de la Jonquière pour le piller.

Mais malgré toutes leurs précautions, Œil-de-Faucon fut témoin invisible de leur départ.

— Puissent les manitous leur jouer un mauvais tour, grommela-t-il, quand il aperçut les fils de Patte-d’Ours accompagnant les deux Canadiens, et écraser ces blancs qui ont préféré le Renard et l’Écureuil au fils du Corbeau.

Une journée, deux, trois puis quatre, s’écoulèrent, et les explorateurs ne revenaient pas.

Œil-de-Faucon qui comptait les jours se dit :

— Ma prière a peut-être été exaucée, et les mauvais esprits auront détruit les visages-pâles.

Pour s’assurer de la durée de l’absence des Français il se présenta au fort, et l’air bonasse, il dit au sergent qui vint lui répondre à la porte :

— Mon frère blanc ne trouve-t-il pas que les deux chefs sont longtemps à revenir ? Le Yhatchéilini craint pour eux un accident dû aux mauvais manitous qui demeurent dans les montagnes où se couche le soleil. Œil de-Faucon vient s’offrir pour aller à leur recherche si son frère le désire.

— Mes chefs seront ici bientôt ; ne crains pas pour eux, brave guerrier, répondit le sergent de sa voix rude. Tu t’alarmes à tort, mais merci tout de même de tes bonnes intentions.

— Ah !… bientôt ?… le guerrier blanc sait-il où ils sont allés ?

— Oui !

— Quand reviennent-ils ?

— Je te l’ai dit : bientôt !

— Demain ?… après-demain ?… dans quelques jours ?…

Le sergent n’aimait pas toutes ces interrogations, aussi fut-ce avec un peu d’humeur qu’il répondit à la dernière question :

— Sais pas !… ça se pourrait !… je crois que oui !… et fermant brusquement le guichet, il laissa là le cuivré interloqué.

Œil-de-Faucon ne pouvant en savoir plus long, retourna, maussade, au ouigouam de son père, mais deux, trois et quatre jours s’étant encore écoulés et ne voyant pas reparaître les officiers canadiens ni les deux Yhatchéilinis, il se dit que c’était impossible qu’un malheur ne leur fût pas arrivé.

Et alors lui trotta par la tête l’idée d’une vengeance contre les