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L’HISTOIRE DU BISON

les pieds dans l’herbe et tomba presque de tout son long sur la Grande Barbe, couché à terre dans les hautes herbes, baignant dans son sang qui coulait de plusieurs blessures.

L’Œil Croche l’avait poignardé pour lui voler un peu d’or trouvé dans les environs. C’est ce que raconta la Grande Barbe, d’une voix entrecoupée de hoquets… mais il avoua qu’il avait une cachette où il avait déposé une pépite assez grosse pour faire seule la fortune d’un homme, puisqu’elle pesait, selon lui, de soixante-dix à quatre-vingts livres[1], et, comme il ne pouvait indiquer où son trésor était caché, parce qu’il n’en avait plus la force, il fit prendre au Bison, dans la doublure de son habit, de petits morceaux d’écorce de bouleau, sur lesquels il avait tout marqué.

À notre halte, l’Œil Croche ne reparut plus, et l’on crut qu’il avait été dévoré par des fauves.

— Mon frère pâle, dit en commençant le Mandane au cadet de la Vérendrye, voici l’amulette de l’Aigle Noir. Conserve-là précieusement en souvenir du vieux Bison, parce que, un jour, si tu rencontres le guerrier l’Aigle Noir, il pourra t’être utile.

Et plus bas, il ajouta :

— Tu trouveras, dans l’amulette, les écrits de la Grande Barbe.

Le pauvre sauvage dut s’arrêter encore une fois, très affaibli. Le dénouement approchait, ce ne pouvait être qu’une question de peu d’instants.

Mais, faisant appel au reste de vie animant encore son être, il put ajouter :

— Ne perdez pas et ne brisez pas l’amulette !… Cherchez, et vous trouverez le secret pour l’ouvrir !… Méfiez-vous de l’Œil Croche, il est revenu… soyez sur vos gardes constamment… Le Bison est bien reconnaissant, au jeune guerrier blanc et à son père, pour tout ce qu’ils ont fait pour lui…

Il se tut ; il était épuisé.

Les deux amis, Joseph et Pierre, assistèrent aux derniers moments du malheureux, plus émus qu’ils ne l’avaient été dans plusieurs autres scènes douloureuses et navrantes.

Dans les derniers spasmes de la mort, ils crurent ouïr ces mots : « Méfiez-vous !… l’Œil Croche !… »

Les deux jeunes gens reprirent le chemin de leur demeure, après avoir donné des instructions au cabaretier sur ce qu’il aurait à faire.

— Ce que c’est que la vie ! disait Joseph, en s’en allant. Il y a quelques heures, nous étions à une gaie réunion, à une fête magnifique, où tout était en liesse… et nous venons de voir la mort cueillir une victime.

— Allons ! tes idées ne sont pas réjouissantes, dit Pierre ; changeons de sujet. Je vais prendre un peu de repos… de sommeil si c’est possible… et puis je reviens te voir avec ta précieuse amulette… À moins qu’il n’y ait pas grand’chose dans tout ceci… et

  1. En 1851, ou environ, Chs-Y. Tooker découvrit, en Californie, rivière St-Joachim, une pépite pesant quatre-vingt-dix livres. — Chicago Mail.