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LE VIEUX CHEF DES MANDANES

de l’un d’eux. Ou encore, je songeais avec effroi à l’éventualité d’un coup de vent ou d’une tempête surgissant qui chavirerait mon frêle canot d’écorce en un clin d’œil. Tristes perspectives !… J’avais bien pensé à me jeter à la nage et tenter le retour au camp de cette façon, mais j’avais une longue traite à fournir, et l’obscurité me saisirait certainement avant que je puisse remettre les pieds sur la terre ferme. Avec ça que, si je devenais fatigué de nager, je ne pourrais plus aisément remonter dans le canot que je ne voulais pas abandonner.

« J’en étais là de mes réflexions, quand j’entendis crier. Je portai mes yeux dans la direction d’où venait le cri, mais ne vis rien. Néanmoins, je répondis. L’appel entendu fut encore répété, et je reconnus avec joie la voix du chef sauvage. De ma voix, je le guidai jusqu’à moi. Bientôt, je distinguai la tête du vieux brave émergeant de l’onde, que ses bras vigoureux fendaient rapidement.

« Peu après, sa main se cramponnait au rebord du canot. Après s’être reposé un instant, lentement, mais avec une adresse rare, il monta près de moi.

« Ce tour de force et d’habileté, joint à la distance qu’il venait de franchir à la nage, l’épuisa.

« Le Bison m’apportait le moyen de retourner au cap Tonnerre, car il s’était attaché au cou une pagaie, qu’il avait traîné avec lui, et qui, de la sorte, ne pouvait gêner aucunement ses mouvements.

« Lorsqu’il s’aperçut que je dérivais, au premier abord il pensa à m’en avertir, puis, songeant que je devais avoir un aviron dans le canot, continua à vaquer à ses occupations.

« Mais enfin, voyant que je m’éloignais toujours, il en fut surpris et, tout à coup, il se rappela que l’un de nos avirons s’était cassé en partant du fort Kaministiquia, qu’on l’avait probablement laissé dans le canot, et que je me trouvais sans moyen de revenir.

« Contourner le cap ou le grimper en courant, pour faire signe à mon père et à mon frère, l’Indien eut un instant cette idée, mais il se ravisa. Il se dit qu’il ne pourrait peut-être pas les voir ou leur faire des signaux, et qu’il perdrait là un temps précieux.

« Saisissant une pagaie, qu’il attacha à son cou, il se mit résolument à l’eau et s’élança dans la direction où il m’avait vu dériver.

« Vous savez le reste. »

À ce moment, des pas résonnèrent à la porte de l’auberge ; Baptiste et le Dr Sylvain, que le premier avait trouvé, entrèrent. Ayant salué son neveu, de la Vérendrye, et de Noyelles, qu’il connaissait, et ayant échangé quelques mots avec eux, il examina les blessures du sauvage.

Des coups portés par le meurtrier, deux étaient mortels, et quand le disciple d’Esculape voulut enlever l’arme enfoncée dans la plaie, il la trouva fixée si solidement, qu’il lui fut impossible de la retirer sans causer un mal extrême au moribond. Il crut même plus prudent de l’y laisser. Autrement, une forte hémorragie pouvait se produire et achever, en quelques minutes, l’œuvre de l’assassin, sans que le sauvage puisse reprendre connaissance et donner un indice qui permit de retrouver la personne qui l’avait frappé.