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Ce phénomène de concentration a eu les mêmes conséquences que dans l’industrie : il a diminué le nombre des patrons indépendants et a augmenté celui des salariés ; mais il semble qu’il ait été favorable à ces derniers. Les bergers qui, autrefois, outre la nourriture, touchaient 8 francs de salaire mensuel, en reçoivent aujourd’hui 24. Le grand atelier, en augmentant les bénéfices du patron, a permis une amélioration du sort des ouvriers. De tous les travailleurs de l'Agro romano les bergers sont les plus indépendants et les mieux traités ; ils n’ont pas le souci du lendemain, puisqu’ils sont engagés à l’année et qu’en fait ils restent souvent au service du même patron jusqu’à leur mort. Pour nous rendre compte de leur existence il nous faut les visiter dans leur principal atelier de travail qui est la Campagne romaine, puis observer ensuite l’organisation de leur foyer familial et de leur propriété dans le village de montagne d’où ils sont originaires.

Un dimanche matin, nous prenons le train pour Lunghezza, domaine du duc Grazioli, situé sur la ligne de Tivoli, à une quinzaine de kilomètres de Rome, dans le voisinage de l’ancienne Collalia. A la station débarque une légion de chasseurs d’alouettes ; la chasse est une des passions du Romain, elle est libre dans toute la campagne[1]. Bientôt nous rencontrons les moutons.

  1. Pour soustraire ses terres à la chasse banale, il faut les clore d’un mur ou d’un treillage de 2 mètres de haut : il n’y a que les réserves royales de Castel Porziano qui soient dans ce cas. Lors des dernières élections, en mars 1909, le duc Caëtani, grand propriétaire mais candidat, a déclaré qu’il n’accorderait pas une minute de son attention à tout projet de loi qui tendrait à restreindre la liberté de la chasse dans la Campagne romaine. Le dimanche, tout Romain qui franchit les murs à son fusil en bandoulière. Sur le littoral, lors du passage des cailles, la chasse est assez fructueuse ; on trouve aussi des bécasses dans les bois et du gibier d’eau dans les étangs et les marais. Ce travail de simple récolte fournit des moyens d’existence à toute la population de certains villages de montagne, dont les hommes passent huit mois de l’année dans les plaines basses du littoral où ils vivent exclusivement de la chasse. Le gibier acheté et centralisé par des courtiers est expédié à Rome et à l’étranger.