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LE CENTURION

C’est le navire du désert, qui est un océan, et il en a les bercements. Tout d’abord, cela trouble un peu le cœur ; mais on s’y fait, et la bosse de l’animal, comme la coupole d’un observatoire, nous permet d’admirer l’horizon.

On croit généralement qu’il n’y a pas d’horizon dans le désert ; mais c’est une erreur. Avoir devant les yeux l’immensité des sables, et, dans un lointain vague, une zone bleue qui ressemble à la mer ; y découvrir çà et là des îles, qu’on voit surgir, et se transformer graduellement en forêts de palmiers : voir défiler des caravanes ou des troupeaux aux confins de longues plaines de sable, dans un mirage qui les transfigure et leur donne les proportions de monstres antédiluviens ; voir resplendir au soleil des campements de tentes blanches qui ressemblent à des volées de cygnes géants ; gravir ou contourner des montagnes de granit rouge, ou de quartz rose ; apercevoir tout à coup au bord d’une fontaine un tombeau monumental, ou un temple de Tot ou de Phtah avec ses hautes pylônes et ses colonnades énormes, avec ses chapiteaux en feuilles de lotus : Voilà quelques-unes des variétés d’horizons qui ont tour à tour charmé mes regards, dans mes courses.

Et dans quelle exquise rêverie cette marche lente et monotone vous plonge ! Nulle part ailleurs, et jamais, je n’ai senti si profondément le charme de la grande solitude et du suprême recueillement des être vivants mêlés aux choses mortes.