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— Je le forcerai à se battre.

— Vous n’en avez pas la force, vous n’en avez pas le droit.

— Comment ! je n’aurai pas le droit de tuer cet homme quand il m’enlève le seul bien que j’aie ici-bas ! Car moi, voyez-vous, Monseigneur, je suis un soldat depuis que je suis un homme ; je suis arrivé jusqu’à vingt-six ans sans aimer : aucun des sentiments que j’ai éprouvés jusque-là ne mérite le nom d’amour. Eh ! bien ! à vingt-six ans, j’ai vu Claire : donc, depuis près de deux ans je l’aime, depuis près de deux ans, j’ai pu lire les vertus de la fille et de la femme écrites par la main même du Seigneur dans ce cœur ouvert pour moi comme un livre.

Monseigneur, il y avait pour moi, avec Claire, un bonheur infini, immense, un bonheur trop grand, trop complet, trop divin pour ce monde, Puisque ce monde ne me l’a pas donné, puisque ce bonheur est perdu par la faute d’un misérable, c’est vous dire que sans Claire il n’y a pour moi sur la terre que désespoir et désolation, et je vais lui dire adieu. Mais avant, il faut que je tue cet homme… Oh ! je ferai de belles funérailles à mon amour brisé !…

— Vous ne parlez pas en chrétien, mon enfant, reprit M. de Vaudreuil ému par le désespoir du jeune homme, et la douleur vous fait