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voyez que ma police est bien faite — tandis que vous perdez ces sommes fabuleuses au jeu que le roi défend, vous, un de ses serviteurs, le peuple que vous avez pressuré pour lui faire suer cet argent, meurt de faim.

Voulez-vous savoir dans quel état vous l’avez réduit, ce pauvre peuple ? Écoutez ce que m’écrit M. Doreil, et dites si les parias de l’Inde n’ont pas un sort préférable : « Le peuple périt de misère ; les Acadiens réfugiés ne mangent depuis quatre mois que du cheval et de la morue sans pain ; il en est déjà mort plus de trois cents. Le peuple canadien en est toujours réduit, ainsi que nous, au quart de livre de pain par jour. À l’égard de la viande, on oblige ceux qui sont en état d’en manger, de prendre moitié cheval à six soirs la livre. Nos soldats sont à la demi livre de pain par jour depuis le premier novembre, trois livres de bœuf, deux livres de pois et deux livres de morue par huit jours. Ils prennent leur mal en patience. »[1]

Mais ce n’est pas tout, monsieur. Quand les vivres sont si rares, les paysans sont dévorés au nom du roi par vos corbeaux de la Friponne[2]. On enlève les bestiaux que l’on paie quatre-vingt livres pour les vendre au roi douze cents livres.

  1. Ces faits, comme tous ceux du reste que nous avons déjà rapportés touchant l’état de la colonie, sont parfaitement historiques.
  2. Les magasins de l’intendance étaient ainsi désignés sous le nom de la Friponne.