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72 Histoire critique de la rédaction des

hommes, au point d’y passer poui un monstre, la conscience qui lui faisait sentir en lui plus de bien que de mal, lui donna le courage que lui seul peut-être eut et aura jamais , de se montrer tel qu’il était* (170) Malgré toutes ses fautes et toutes ses erreurs il se crut toujours bon et pensa qu’il serait devenu vertueux par sa réforme morale. II se jugea même ïà tout prendre le meilleur des hommese, et c’est pourquoi il ne craignit pas de confesser toutes ses fautes, même toutes ses mauvaises pensées. Suivant l’exemple du personnage idéal de SoPHiB dans son Emile, il a résolu — nous le répétons — de dire tout ce qui était contre lui et de taire en même temps ce qui l’excusait, le justifiait peut-être.

Nous avons vu que l’auteur des Confe&shm trouva cependant déjà en 1766 la franchise trop dangereuse et qu’il rejeta la première rédaction de cet ouvrage pour ne pas offrir lui-même trop de prise à ses ennemis. Mais jusqu’à la rédaction définitive des Confessions ne pouvait être que fatale pour à l’auteur. — ?Le mat, dit-il dans les Dialogues, qui ne nuit point à d’autres peut se faire quand on fait le bien qu’il rachète. Il (Rousseau) n’a pas été si discret dans ses Confessions, et peut-être n’en a-t-il pas mieux fait.c (171) »J’ai souvent dit le mal, lisons-nous enfin dans les Rêveries, dans toute sa turpitude, j’ai rarement dit le bien dans tout ce qu’il eut d’aimable, et souvent je l’ai tu tout-à-fait, parcequ’il m’honorait trop, et que faisant mes Con- fessions j’aurais l’air d’avoir fait mon éloge.» .... »Loin d’avoir rien lu, rien dissimulé qui fût à ma charge, par un tour d’esprit que j’ai peine à m’expliquer et qui vient peut-être d’éloignement pour toute imitation, je me sentais plutôt porté à mentir dans le sens contraire en m’accusant avec trop d’indulgence et ma conscience m’assure qu’un jour je serai jugé moins sévèrement que je ne me suis jugé moi-même.* {172)

En attendant Rousseau ne cessait de donner au public des éclaircissements à l’égard des Confessions, afin de le rendre enfin capable de les comprendre et de les apprécier. Après avoir douloureusement éprouvé ce qu’il en coûte d’être trop indiscret et trop indulgent dans l’accusation de soi-même, il dut encore entreprendre sa propre justification, C’est à cette fin qu’il écrivit, entre la seconde moitié de 1772 et le commencement de 1776, l’opuscule intitulé Rousseau, Juge de Jean-Jacques. Dialogues. Cet ouvrage est sans contredit le plai- doyer le plus singulier et le plus bizarre, que jamais homme ait fait en sa faveur, mais en même temps il demeure, par la forme et par le fond, le plus touchant qui existe. L’agitation et l’irri- tation de l’auteur se calmèrent durant dans les deux dernières

(170) Ibid. p. 366.

(171) Ibid. IX. p. 245.

{172) Ibid, Sheries IX. 356 etc.