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68 Histoire critique de la rédaction des confessions

force de son génie, ne pouvaient qu’échouer parmi eux. «Mais pourquoi, lui demande Saint-Germain, voulez-vous maintenant sacrifier votre temps à vos ennemis? Vous dites que c’est pour découvrir et confondre la noirceur des projets formés contre votre réputation. Si votre réputation est attaquée, ce n’est point vous. Monsieur, qui avez à la défendre, ce sont les honnêtes gens, qui connaissent vous et vos ouvrages. Eux seuls, quoique en petit nombre, fermeront la bouche à vos ennemis. Quant à vous, en usant de vos talens même au-dessus de vos espérances, vous compromettriez l’honneur acquis, en sacrifiant certainement et hors de saison votre personne». Pour ces raisons Saint-Germain exhorte derechef son ami à remettre le soin de sa justification à ses œuvres et aux honnêtes gens du siècle et de la postérité , de vivre dans la retraite , de conserver à son cœur cette paix que les hommes ne pouvaient ni troubler ni donner, d’être résigtié à la volonté de Dieu, de souffrir avec patience les maux et les injures, d’être utile à ses frères, même à ses eimeinis: «voilà, dit Saint-Germain la vengeance terrible, que vous pouvez exercer contre eux, et la meilleure preuve de votre innocence.! (162)

Ce ne fut qu’au bout d’un an que l’auteur des Confessions, après avoir fait les plus tristes expériences, revint sur ces conseils de son ami. C’est alors qu’il publia ce qui suit: sje déclare à tous mes adversaires faisant raisonnements, sermons, railleries, critiques et satires, que je ne suis humilié ni enorgueilli de leur grand nombre, mais je me repens beaucoup ^ avoir défendu quelques- unes de mes opinions el de mes actions. Les Icriis doivent se défendre eux-mêmes. À V égard des actions, un homme ferme doit se contenter du timoignagne de sa conscience et dédaigner tout le reste. Le prétexte de repousser la calomnie, de défendre son honneur, est un prestige de f amour- propre , prestige auquel jai résisté souvent, plus souvent peut-être qu’aucun autre écrivain, mais /ai eu le malheur de me laisser entrêâner quelquefois à cette illusion, foi manqué l’occasion de donner un exemple unique de constance philo- sophique et de fermeté stoique, celui de rf opposer à cette légion d’ad- versaires qt^un silence absolu. Si /avais toujours su me taire, je n’aurais pas pris la peine d’écrire ceci; mais je tai prise, parce- qù une faute de plus ou de moins n’est qu’une bagatelle.*

On reconnaîtra facilement, dans cette déclaration de Rousseau, les conseils de Saint-Germain; mais il est à présumer qu’on vient de la lire ici pour la première fois. Aucune édition des œuvres de Rousseau ne contient l’ouvrage auquel appartiennent les paroles citées, et jamais, à notre connaissance, les historiens ni les critiques, ni même les éditeurs de la fronce littéraire n’en