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Rousseau historien 13

parceque nous y sommes nous-mêmes, que parce qu’ils y sont en effet. Leurs crimes nous feront horreur; quelque fois leurs vertus mêmes nous feront frémir. Egalement faibles et pu- sillanimes dans le bien et dans le mal, tout ce qui porte un certain caractère ne nous parait plus possible. L’incrédulité dont nous faisons parade est bien (plus] l’ouvrage de notre lâcheté que celui de notre raison. Mais le tort que la mau- vaise foi des Lecteurs peut faire à un bon ouvrage ne doit pas l’emporter sur l’approbation d’un seul homme sensé qui en profite : c’est surtout en de pareilles occasions qu’il faut oublier la multitude et que celui qui travaille pour la vérité ne doit point songer au succès. Quant à moi-même quelque jugement l’on porte de cet écrit il me suffit pour être justifié devant le public de ne rien avancer que sur la foi de garants respectés et la plupart témoins des événemens; il me suffit pour ma propre satisfaction de n’avoir eu d’autre but de la composition de cette histoire que d’avilir les préjugés dont les hommes de mon tems nourrissent leur petitesse et les vices qui en sont l’ouvrage.

(Histoire de LacédémoDc.)

Nous n’avons pas beaucoup de fables sur la fondation de Sparte. Les habitans qui cherchaient plus leur gloire dans le présent que dans le passé négligèrent ou dédaignèrent de donner à leur ville à l’imitation de touttes les autres une origine merveilleuse.

Il n’est guère vraisemblable que dans ces tems reculés on ait bâti tout d’un coup de grandes villes dans des lieux au- paravant tout-à-fait inhabités. Il y a apparence que ces établissemens ayant commencé par quelques chaumières des paysans ou de vagabonds, s’étaient accrus insensiblement par le concours d’autres vagabonds attirés par les premiers ou par la commodité du lieu. À force d’augmentation les villes étant enfin devenues célèbres, leurs habitans ne pouvant trouver l’époque de leur fondation l’imaginèrent le plus avantageuse- ment qu’ils purent sur quelques traditions populaires. C’est ainsi qu’il est permis de supposer celle de Sparte avec autant plus de vraisemblance que le pais n’ayant pas d’abord été fort peuplé ni même fort habitable, on peut suivre dans l’antiquité une partie des progrès qui rendirent enfin le sol si fertile et la ville si florissante.