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4^ INTRODUCTION

corps de doctrines religieuses simples, vraisemblables, conformes au penchant naturel de l'esprit humain et capables de diriger instinctivement les volontés dans le sens prescrit par la raison. Pas de vertu réelle et sur- tout générale sans religion ; or, pas d'Etat libre sans vertu générale : on devra donc imposer (il est vrai, à ceux-là seulement qui les auront d'abord volontaire- ment acceptées) ces indispensables croyances, sous peine de ruiner dans l'État les fondements de la liberté. C'est ainsi que Rousseau a été conduit à méconnaître l'obligation morale et l'utilité sociale qui justifient égale- ment l'entière liberté des consciences et à fonder cette fameuse « religion naturelle » (*), dont plus d'un État moderne a voulu faire en effet un instrument de gouver- nement.

11 semble donc qu'une conception trop étroite des conditions de la vertu, et, par suite, de la liberté, con- ception qui dérive en partie sans doute de l'esprit calviniste et protestant, mais bien davantage, je crois, du sentiment original et profond qui ramenait toujours Rousseau vers la nature, a donné à sa politique un caractère chimérique, artificiel et dangereux. Dans toute cette partie de son œuvre, c'est Rousseau lui-même qui légifère, avec son tempérament et ses préjugés, avec ce singulier mélange d'optimisme et de pessimisme qui est toute sa philosophie, avec sa défiance de la raison pure et de la civilisation, sa confiance en les inclinations naturelles du cœur. C'est de là que procèdent sur- tout les théories relatives à l'organisation économique,

(*) La « religion naturelle » de Rousseau difière-t-elle essen- tiellement de celle de Voltaire et n'est- elle vraiment, comme le soutient notamment M. Aulard, qu'un christianisme simplifié et purifié, — cela me parait très discutable. En tout cas, remar- quons que la « religion civile » ne se confond pas avec la « pro- fession de foi du vicaire savoyard » : elles ne coïncident qu'en partie et dans la mesure où les croyances religieuses sont liées à la morale.

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