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que les pays froids, et pourraient en nourrir davantage ; ce qui produit un double superflu, toujours à l’avantage du despotisme. Plus le même nombre d’habitants occupe une grande surface, plus les révoltes deviennent difficiles, parce qu’on ne peut se concerter ni promptement ni secrètement, et qu’il est toujours facile au gouvernement d’éventer les projets et de couper les communications ; mais plus un peuple nombreux se rapproche, moins le gouvernement peut usurper sur le souverain : les chefs [1] délibèrent aussi sûrement dans leurs chambres que le prince dans son conseil, et la foule s’assemble aussi tôt dans les places que les troupes dans leurs quartiers. L’avantage d’un gouvernement tyrannique est donc, en ceci, d’agir à grandes distances. À l’aide des points d’appui qu’il se donne, sa force augmente au loin comme celle des leviers [2]. Celle du peuple, au contraire, n’agit que concentrée : elle s’évapore et se perd en s’étendant, comme l’effet de la poudre éparse à terre, et qui ne prend feu que grain à grain. Les pays les moins peuplés sont ainsi les plus propres à la tyrannie ; les bêtes féroces ne règnent que dans les déserts.

  1. Il s’agit ici des chefs que se donne spontanément le peuple révolté et non des magistrats qui forment le gouvernement.
  2. (a) Ceci ne contredit pas ce que j’ai dit ci-devant (liv. II, ch. ix) sur les inconvénients des grands États, car il s’agissait là de l’autorité du gouvernement sur ses membres, et il s’agit ici de sa force contre les sujets. Ses membres épars lui servent de point d’appui pour agir au loin sur le peuple, mais il n’a nul point d’appui pour agir directement sur ses membres mêmes. Ainsi, dans l’un des cas, la longueur du levier en fait la faiblesse, et la force dans l’autre cas. (Note de Rousseau).