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INTRODUCTION l5

sans règle et sans loi, au hasard de ses caprices, il se heurterait bien vite à ces deux sortes d'obstacles, et il comprendrait la nécessité de soumettre à la raison ses impulsions naturelles. Mais les obstacles qui viennent des choses ne ressemblent pas aux obstacles qui viennent des hommes : si les uns et les autres détruisent l'indépendance, les derniers seuls détruisent la liberté. « Il y a deux sortes de dépendances : celle des choses, qui est de la nature; celle des hommes, qui est de la société. La dépendance des choses, n'ayant aucune moralité, ne nuit point à la liberté et n'engendre point de vices ; la dépendance des hommes, étant désordonnée, les engendre tous, et c'est par elle que le maître et l'esclave se dépravent mutuellement (*). » Les forces naturelles ne sont point en effet des volontés poursui- vant des fins déterminées et assujettissant l'homme à leurs caprices ; elles ont au contraire pour caractères l'ordre, l'uniformité et la nécessité : l'homme peut donc leur obéir sans devenir esclave; en conformant sa volonVé à l'ordre du monde, il reste libre de travailler, dans les limites que lui impose la nature des choses, à réaliser ses Ans propres, sa conservation et son bonheur. La volonté humaine, guidée par la raison et soumise à l'ordre universel, voilà donc la liberté naturelle.

Mais les rapports des hommes entre eux ne se laissent pas régler aussi facilement. Sans doute, si les hommes, exempts de passions et de vices, savaient se contenter d'une vie frugale et paisible, s'ils suivaient ce penchant à la sympathie dont la nature a mis le germe dans leur cœur et qui s'accorde si bien avec leur intérêt, ils pourraient vivre côte à. côte sans dépen- dre les uns des autres. L'inégalité naturelle qu'établit nécessairement entre eux la diversité des tempéraments, des forces et des intelligences aurait fort peu d'impor-

(M Emile, II, p. 117.

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