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et que la force acquise par le tout soit égale ou supérieure à la somme des forces de tous les individus[1], on peut dire que la législation est au plus haut point de perfection qu’elle puisse atteindre.

Le législateur est à tous égards un homme extraordinaire dans l’État[2]. S’il doit l’être par son génie, il ne l’est pas moins par son emploi. Ce n’est point magistrature, ce n’est point souveraineté. Cet emploi, qui constitue la république, n’entre point dans sa constitution ; c’est une fonction particulière et supérieure, qui n’a rien de commun avec l’empire humain ; car si celui qui commande aux hommes ne doit pas commander aux lois, celui qui commande aux lois ne doit pas non plus commander aux hommes : autrement ses lois, ministres de ses passions, ne feraient souvent que perpétuer ses injustices ; jamais il ne pourrait éviter que des vues particulières n’altérassent la sainteté de son ouvrage[3].

Quand Lycurgue donna des lois à sa patrie, il commença par abdiquer la royauté. C’était la coutume de la plupart des villes grecques de confier à des étrangers l’établissement des leurs. Les républiques modernes de l’Italie imitèrent souvent cet usage ;

  1. La force totale de l’État peut être supérieure à la somme des forces naturelles des individus qui le composent, parce que l’organisation sociale supprime les conflits individuels et les désordres de tout genre où s’épuisaient inutilement ces forces et leur fait rendre leur maximum d’effet utile.
  2. Rousseau fut souvent tenté de jouer ce rôle. On sait qu’il se prépara à donner des lois à la Pologne et à la Corse.
  3. C’est, de nouveau, le principe de la séparation du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif.