Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/167

Cette page n’a pas encore été corrigée

LIVRE DEUXIEME I07

charger les sujets d'aucune chaîne inutile à la com- munauté : il no peut pas même le vouloir; car, sous la loi de raison, rien ne se fait sans cause, non plus que sous la loi de nature.

Les engagements qui nous lient au corps social ne sont obligatoires que parce qu'ils sont mutuels ; et leur nature est telle qu'en les remplissant on ne peut travailler pour autrui sans travailler aussi pour soi. Pourquoi la volonté générale est-elle toujours droite, et pourquoi tous veulent-ils constamment le bonheur de chacun d'eux, si ce n'est parce qu'il n'y a personne qui ne s'approprie ce mot chacun, et qui ne songe à lui-même en votant pour tous ? Ce qui prouve que l'égalité de droit (') et la notion de justice qu'elle produit dérivent de la préférence que chacun se donne, et par conséquent de la nature de l'homme' ( 2 ) ; que la volonté générale, pour être vraiment telle, doit l'être dans son objet ainsi que dans son essence ; qu'elle doit partir de tous pour

lement et légalement, le souverain le peut, car il est tout-puissant. Mais cela lui est impossible moralement et logiquement, sous peine d'absurdité et de contradiction, comme on le verra à la fin du chapitre (p. 160, note 5).

( 1 ) C'est-à-dire l'attribution à tous de droits égaux.

( 2 ) La justice est ici formellement déduite de Pégoïsme. Le raisonnement de Rousseau, raisonnement repris par tous les défenseurs de la morale utilitaire, notamment par Stuart Mill, se ramène à ceci : la nature porte chaque homme à vouloir son propre bonheur, de préférence à celui des autres ; mais la raison nous montre que le meilleur moyen de l'assurer est de respecter chez les autres les droits que nous voulons exercer nous-mêmes : nous avons intérêt à nous proposer le bien général, dans lequel est compris notre propre bien. La justice est donc le produit de la nature, pourvu que la raison s'y ajoute et la dirige.

�� �