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c’est un traité juridique et politique. Et le style en est tout nouveau : on n’y trouve plus les prosopopées, l’exaltation et l’enthousiasme des deux Discours ; le ton, au contraire, en est grave, précis ; les mots techniques abondent ; çà et là, quelque ironie vigoureuse, un mouvement oratoire aussitôt arrêté rappellent seulement l’éloquence des premiers ouvrages [1] : on sent que l’auteur prétend démontrer, avec une rigueur parfois mathématique, une thèse scientifique. Enfin, tandis que les Discours et la Lettre à d’Alembert étaient des ouvrages de circonstance, le premier presque improvisé, le second et le troisième hâtivement composés [2], le Contrat a toutes les apparences d’un ouvrage longuement médité, soigneusement ordonné, écrit à loisir.

Si nous en croyons Rousseau lui-même [3], le Contrat social n’est qu’un fragment d’un ouvrage beaucoup plus étendu, dont il avait conçu la première idée pendant son séjour à Venise en 1743, auquel il travailla assidûment pendant près de dix ans à partir de 1750 environ, et qui devait, sous le titre d’Institutions politiques, « mettre le sceau à sa réputation » ; il finit par renoncer, vers la fin de 1759, à cette trop vaste entreprise et se contenta d’achever « en moins de deux années » le Contrat social [4]. Les idées qu’il y expose constituent en effet un système progressivement élaboré et fermement arrêté : on en peut trouver les premières amorces en plusieurs passages de la fin du Discours sur l’inégalité [5] ; — il apparaît déjà très distinctement ébauché dans l’article

  1. M. J. Jaurès dit très bien : « la manière sobre, amère et forte du Contrat social. » Histoire socialiste, t. I, ch. ii, p. 155.
  2. Confessions, II, viii (1753) et II, x (1758).
  3. Conf., II, ix (1756).
  4. Conf., II, x (1759).
  5. Disc. sur l’orig. de l’inégal., p. 306, 316, 321, 324 et suiv. — En l’absence d’une édition complète des œuvres de Rousseau qui fasse autorité, j’indique la pagination d’après l’édition de Paris, 1822, en 21 vol. in-18.