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vement asservis à un seul, en quelque nombre qu’ils puissent être, je ne vois là qu’un maître et des esclaves, je n’y vois point un peuple et son chef; c’est, si

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l'on veut, une agrégation, mais non pas une association ; il n’y a là ni bien public, ni corps politique. Cet homme, eût-il asservi la moitié du monde, n’est toujours qu’un particulier; son intérêt, séparé de celui des autres, n’est toujours qu’un intérêt privé. Si ce même homme vient à périr, son empire, après lui, reste épars et sans liaison, comme un chêne se dissout et tombe en un tas de cendres après que le feu l’a consumé.

Un peuple, dit Grotius, peut se donner à un roi. Selon Grotius, un peuple est donc un peuple avant de se donner à un roi. Ce don même est un acte civil; il suppose une délibération publique. Avant donc que d’examiner l’acte par lequel un peuple élit un roi, il serait bon d’examiner l’acte par lequel un peuple est un peuple (*); car cet acte, étant nécessairement antérieur à l’autre, est le vrai fondement de la société ( â ).

(1) C’est sur cette distinction profonde que repose l’hypothèse d’un contrat social. Pour que les hommes forment vraiment un corps politique, il faut qu’aux relations de fait (voisinage, échanges, etc.) qui les unissaient jusquelà se joignent des relations morales, impliquant des obligations mutuelles et supposant par suite une convention. Alors seulement, on a un peuple.

(2) Dans ce passage, Rousseau a très certainement pour objet d’écarter l’objection très forte que Bossuet avait adressée à Jurieu (5 e avertissement aux Protestants, XLIX) : « A regarder les hommes comme ils sont naturellement, et avant tout gouvernement établi, on ne trouve que l’anarchie, c’est-à-dire dans tous les hommes une liberté farouche et sauvage, . . . S’imaginer maintenant, avec M. Jurieu, dans le