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de savoir si l’on est affecté par la peinture du merveilleux comme on le feroit par sa présence ; au lieu que tout homme peut juger par lui-même si l’Article a bien su faire parler aux passions leur langage, & si les objets de la Nature sont bien imités. Aussi dès que la Musique eût appris à peindre & à parler, les charmes du sentiment firent-ils bien-tôt négliger ceux de la baguette, le Théâtre fut purgé du jargon de la Mythologie, l’intérêt fut substitue au merveilleux, les machines des Poetes & des Charpentiers furent détruites, & le Drame lyrique prit une forme plus noble & moins gigantesque. Tout ce qui pouvoit émouvoir le cœur y fut employé avec succès, on n’eût plus besoin d’en imposer par des êtres de raison, ou plutôt de folie, & les Dieux furent chasses de la Scene quand on y sut représenter des hommes. Cette f’orme plus sage & plus réguliere se trouva encore la plus propre à l’illusion ; l’on sentit que le chef-d’œuvre de la Musique étoit de se faire oublier même, qu’en jettant le désordre & le trouble dans l’ame du Spectateur elle l’empêchoit de distinguer les Chants tendres & pathétiques d’une Héroïne gémissante, des vrais accens de la douleur ; & qu’Achille en fureur pouvoit nous glacer d’effroi avec le même langage qui nous eût choqués dans sa bouche cri tout autre tems.

Ces observations donnerent lieu à une seconde réforme non moins importante que la premiere. On sentit qu’il ne faloit à l’Opéra rien de froid & de raisonné, rien que le Spectateur pût écouter assez tranquillement pour réfléchir sur l’absurdité de ce qu’il entendoit ; & c’est en cela, surtout,