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deux Musiques ; puisque ce qui est beauté dans l’une, seroit dans l’autre le plus grand défaut. Si la Musique Italienne tire son énergie de cet asservissement à la rigueur de Mesure, la Françoise cherche la sienne à maîtriser à son gré cette même Mesure, à la presser, à la ralentir selon l’exige le goût du Chant ou le degré de flexibilité des organes du Chanteur.

Mais quand on admettroit l’utilité d’un Chronometre, il faut toujours, continue M. Diderot, commencer par rejetter tous ceux qu’on a proposés jusqu’à présent, parce qu’on y a fait, du Musicien & du Chronometre, deux machines distinctes, dont l’une ne peut jamais bien assujettir l’autre : cela n’a presque pas besoin d’être prouvé ; il n’est pas possible que le Musicien ait, pendant toute sa Piece, l’œil au mouvement, & l’oreille au bruit du Pendule, & s’il s’oublie un instant, adieu le frein qu’on a prétendu lui donner.

J’ajouterai que, quelque Instrument qu’on pût trouver pour régler la durée de la Mesure, il seroit impossible, quand même l’exécution en seroit de la derniere facilité, qu’il eût jamais lieu dans la pratique. Les Musiciens, gens confians, & faisant, comme bien d’autres, de leur propre goût la regle du bon, ne l’adopteroient jamais ; ils laisseroient le Chronometre, & ne s’en rapporteroient qu’à eux du vrai caractere & du vrai mouvement des Airs. Ainsi le seul bon Chronometre que l’on puisse avoir, c’est un habile Musicien qui ait du goût, qui ait bien lu la Musique qu’il doit faire exécuter, & qui fache en battre la Mesure. Machine pour machine, il vaut mieux s’en tenir à celle-ci.