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estampe ; ôtez ces traits dans le tableau, les couleurs ne feront plus rien.

La mélodie fait précisément dans la musique ce que fait le dessin dans la peinture ; c’est elle qui marque les traits & les figures, dont les accords & les sons ne sont que les couleurs. Mais, dira-t-on, la mélodie n’est qu’une succession de sons. Sans doute ; mais le dessin n’est aussi qu’un arrangement de couleurs. Un orateur se sert d’encre pour tracer ses écrits : est-ce à dire que l’encre soit une liqueur fort éloquente ?

Supposez un pays où l’on n’auroit aucune idée du dessin, mais où beaucoup de gens, passant leur vie à combiner, mêler, nuer des couleurs, croiroient exceller en peinture. Ces gens-là raisonneroient de la nôtre précisément comme nous raisonnons de la musique des Grecs. Quand on leur parleroit de l’émotion que nous causent de beaux tableaux & du charme de s’attendrir devant un sujet pathétique, leurs savans approfondiroient aussi-tôt la matiere, compareroient leurs couleurs aux nôtres, examineroient si notre vert est plus tendre ou notre rouge plus éclatant ; ils chercheroient quels accords de couleurs peuvent faire pleurer, quels autres peuvent mettre en colère ; Les Burettes de ce pays-là rassembleroient sur des guenilles quelques lambeaux défigurés de nos tableaux ; puis on se demanderoit avec surprise ce qu’il y a de si merveilleux dans ce coloris.

Que si dans quelque nation voisine, on commençoit à former quelque trait, quelque ébauche de dessin, quelque figure encore imparfaite, tout cela passeroit pour du barbouillage,