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que nous pouvons gagner sur nous, en les voyant si bien attestés, est de faire semblant de les croire par complaisance pour nos savans. Burette, ayant traduit, comme il put, en notes de notre musique certains morceaux de musique grecque, eut la simplicité de faire exécuter ces morceaux à l’académie des belles-lettres, & les académiciens eurent la patience de les écouter. J’admire cette expérience dans un pays dont la musique est indéchiffrable pour toute autre nation. Donnez un monologue d’opéra françois à exécuter par tels musiciens étrangers qu’il vous plaira, je vous défie d’y rien reconnoître : ce sont pourtant ces mêmes Français qui prétendoient juger la mélodie d’une Ode de Pindare mise en musique il y a deux milles ans !

J’ai lu qu’autrefois en Amérique les Indiens, voyant l’effet étonnant des armes à feu, ramassoient à terre des balles de mousquet ; puis les jetant avec la main en faisant un grand


Sans doute il faut faire en toute chose déduction de l’exagération grecque, mais c’est aussi trop donner au préjugé moderne que de pousser ces déductions jusqu’à faire évanouir toutes les différences.. « Quand la musique des Grecs, dit l’Abbé Terrasson, du temps d’Amphion et d’Orphée, en était au point où elle est aujourd’hui dans les villes les plus éloignées de la capitale, c’est alors qu’elle suspendait le cours des fleuves, qu’elle attirait les chênes, et qu’elle faisait mouvoir les rochers. Aujourd’hui qu’elle est arrivée à un très-haut point de perfection, on l’aime beaucoup, on en pénètre même les beautés, mais elle laisse tout à sa place. Il en a été ainsi des vers d’Homère, poëte né dans les temps qui se ressentoient encore de l’enfance de l’esprit humain, en comparaison de ceux qui l’ont suivi. On s’est extasié sur ses vers, et l’on se contente aujourd’hui de goûter et d’estimer ceux des bons poëtes. » On ne peut nier que l’Abbé Terrasson n’eût quelquefois de la philosophie ; mais ce n’est sûrement pas dans ce passage qu’il en a montré.